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" It's India !!! "

--> Un voyage en Inde




Cet été, j’ai passé 3 semaines en Inde. Je voudrais vous raconter ce voyage, qui m’a beaucoup marqué à bien des égards.

D’abord, je voudrais évoquer les circonstances qui m’ont amené à faire ce voyage.

Mon père connaît bien l’Inde : il y est allé pour la première fois il y a une dizaine d’années, et s’y rend depuis a peu près tous les 2 ans. Il va toujours dans la même région, dans le nord : c’est une région montagneuse aux contreforts de l’Himalaya, au sud du Tibet et du Népal, qui abrite de nombreux Népalais et Tibétains en exil et compte de nombreux monastères bouddhistes. L’Inde est un pays fédéral, comme l’Allemagne ou les Etats-Unis, et l’Etat en question s’appelle l’Himachal Pradesh.



Mon père parraine depuis une quinzaine d’années un jeune bonze nommé Tempa, âgé aujourd’hui de 27 ans : il est d’origine Népalaise, de la région du Dolpo, proche du Tibet. Cette région vivait du commerce avec le Tibet, mais à cause de l’invasion chinoise de 1950, ces relations ont été coupées et la région est aujourd’hui extrêmement pauvre (comme tout le Népal par ailleurs, 14ème pays le plus pauvre au monde avec un revenu par habitant de 230$ par an). Les parents de Tempa ont du le confier à un monastère en Inde. Ses deux sœurs sont également nonnes dans un monastère bouddhiste dans le sud de l’Inde. Dans les faits, Tempa n’est pas enregistré à l’état civil : il n’a pas de passeport, et en dehors de sa carte d’étudiant au monastère et d’un faux livret d’identité tibétain qu’il a fait fabriquer, il n’a pas d’existence légale. Il est bonze au monastère de Dolanji, situé dans les montagnes de l’Himachal Pradesh, à 300km au nord de Delhi, la capitale de l’Inde.


Ce monastère n’est pas à proprement parler bouddhiste mais Bon, la religion originelle du Tibet avant l’introduction du bouddhisme, ou du moins est-elle présentée comme telle. Les croyants Bon vénèrent une divinité semblable au Bouddha Shakyamuni, dont il aurait été le professeur. En réalité, il semble que le Bon soit l'aboutissement d'un amalgame de croyances bouddhiques indiennes assimilées et tibétaines locales originelles : on peut donc le considérer comme une forme de bouddhisme.
Le Dalaï Lama a reconnu il y a une dizaine d’années la religion Bon comme « composante essentielle et précieuse de la culture tibétaine ».

Le premier voyage en Inde de mon père avait donc pour but de rencontrer son filleul au monastère de Dolanji, mais aussi de découvrir les montagnes environnantes, mon père ayant toujours été un grand marcheur. Lors d’un trek, il s’est lié d’amitié avec un Indien, Wyan Sharma, puis avec son fils Pawan. La famille Sharma habite Bhekli, un petit village montagnard surplombant la ville de Kullu, à 200km au nord du monastère. Quelques années plus tard, mon père a cofinancé la construction d’une maison dans ce village, dans laquelle vit actuellement Pawan avec son épouse Primilla et leurs deux enfants. Pawan travaille à mi temps pour une grande compagnie d’électricité de la région, et est aussi guide de trekking.
 

Je crois que mon père souhaite s’associer avec lui pour organiser en entreprise son activité de guide et faire le lien avec les clients étrangers… Il souhaite aussi s’installer en Inde après sa retraite.

En 1997, mon père avait emmené ma petite sœur avec lui, elle avait alors 14 ans. L’année dernière, ma sœur, étudiante en cinéma, lui avait proposé de réaliser cette année un film documentaire sur l’Inde, centré sur son expérience de voyageur et ses rencontres avec Tempa et la famille Sharma ; le projet avait pour titre « India is good for you ». Il était soutenu financièrement par des associations publiques, mais a finalement été annulé avec la mort de ma sœur en janvier.

Mon père souhaitait tout de même partir en Inde cet été, pour planter des arbres à sa mémoire au monastère de Dolanji et au village de Bhekli. Mais sans emploi, il ne pouvait pas financer ce voyage et se résignait à l’annuler. Pour différentes raisons, il me semblait qu’il devait faire ce voyage cet été, pour lui comme pour elle : j’ai décidé alors de partir avec lui pour découvrir ce pays, faire ce voyage qu’elle avait fait elle aussi.

 

De toute façon, j’avais décidé de changer d’air, après trois ans de travail dans un centre de recherche et à l’université. J’avais obtenu une bourse pour repartir étudier au Japon à partir d’octobre, et souhaitais profiter de ces 4 mois de vacances pour voyager, rencontrer des gens, me changer les idées. Profitant de retrouvailles inespérées avec un vieil ami du lycée, je l’ai accompagné dans son vieux camion de pompiers allemand carburant à l’huile de friture pour aller fêter l’anniversaire d’un ami à Marseille… Au retour, je suis parti pour Athènes avec un ami d’origine grecque… Après 3 jours de plage, un faux mouvement me valait un genou en charpie. Rapatrié en urgence, je me voyais coincé pour l’été… Mais finalement, le genou tenait et je m’envolais retrouver mon amie chez elle, au sud du Japon. Elle avait décidé de m’accompagner en Inde…

 

Le 22 août, je m’envolais pour Delhi depuis la France, mon amie depuis le Japon : nous devions nous retrouver à l’aéroport, passer une nuit dans une guest house du quartier tibétain puis partir pour le nord rejoindre mon père arrivé un mois plus tôt, qui nous attendait au monastère.


Cliquez ici pour lire la bande-son

« INCREDIBLE INDIA »

Tel est le slogan des campagnes publicitaires gouvernementales destinées à promouvoir le tourisme étranger en Inde.
 

Et en effet, l’arrivée à Delhi, vers 1h du matin (en raison des problèmes de sécurité liés au survol du Pakistan, tous les avions arrivent et décollent de nuit), est une expérience indescriptible. « Bordel » est le maître mot pour caractériser le chaos ambiant des routes indiennes. Le chauffeur de l’hôtel qui nous attendait me semblait doué d’une dextérité surnaturelle pour faufiler sa vieille camionnette branlante (sonorisée à plein tube de pop indienne, comme tout ce qui roule en Inde) entre les voitures, auto-rikshaws (sorte de tricycles couverts motorisés, souvent verts et jaunes), camions et bus bondés à craquer, le tout se ruant dans un concert de klaxons sur des routes en état douteux, se doublant de partout (parfois sur les bas-côtés) en s’exhortant mutuellement de la voix et du geste à faire place… Un beau bordel. Au bord de la route, les gens dorment à même le sol, au milieu des vaches. La zone surélevée séparant les deux voies de l’autoroute est aussi encombrée de gens qui dorment, par terre ou sur leur rikshaw (pousse-pousse), et de marchands ambulants qui se précipitent à chaque feu rouge au milieu des voitures, pour vendre des tranches de noix de coco, des magazines ou de l’eau…



Le voyage jusqu’à l’hôtel allait durer une heure. A chaque seconde, j’avais l’impression que ce magma de véhicules allait imploser dans une sorte d’apocalypse joyeuse, mais à bien y réfléchir, pas d’accidents (ou sans gravité), pas d’engueulades : ce bordel, finalement, fonctionnait plutôt bien. Plus tard, je finirai par m’habituer à cette circulation, à comprendre que les klaxons permettent aux camions, plus lents, de s’écarter (ils sont tous couverts de peintures et d’inscriptions à l’arrière : « blow horn » -klaxonnez svp -, « use dipper at night » - la nuit, faites des appels de phare svp), qu’avec une vitesse limitée à 50km/h sur autoroute, le danger était finalement assez limité... Pour l’instant, j’étais juste effrayé. Intrigué, mais surtout effrayé.


Le quartier tibétain, en périphérie de Delhi, concentre la communauté tibétaine dans un enchevêtrement de maisons décrépies et de baraquements de fortune, au bord de l’autoroute. Je me demandais ce qui forçait ces exilés à s’entasser dans ce coin sans âme, au milieu des gaz d’échappement - surtout plus tard, après avoir vu les montagnes, leurs monastères et leur vie paisible.
A la fin du voyage, en discutant avec le gérant d’un petit restaurant au bord de la route ou j’allais manger, je finirai par apprendre que cette zone avait été attribuée aux réfugiés par le gouvernement, et qu’il n’était donc pas question de choix la dedans. Un peu à la manière des campements réservés à nos gitans ou des hlm en banlieue pour nos immigrés…
 

Le lendemain, il fallait avant tout s’occuper du trajet vers le nord…La gare routière (ISBT – Inter State Bus Terminal) n’est qu’à 3km, mais il était écrit que nous aurions droit à la traditionnelle arnaque des taxis, rite de passage pour tous les touristes : on aurait du prendre un rikshaw ou auto-rikshaw, mais sur une (mauvaise) impulsion, je fais confiance au premier chauffeur de taxi à nous aborder (évidemment, à la sortie de Majnu Katilla, la colonie tibétaine – comme partout d’ailleurs –, des dizaines de chauffeurs attendent le touriste en permanence, et nous hèlent à qui mieux mieux pour nous faire monter).

 

Mauvais choix : le chauffeur confond (ou fait semblant de confondre) SOLAN, la ville du nord où on doit se rendre pour rejoindre le monastère, et SOLANI, pour laquelle il faut aller dans une autre gare, bien plus loin… Il y en a au moins pour une heure, mais ça nous donne déjà l’occasion de faire un premier trajet de jour… Au bord des routes de Delhi, c’est encore l’impression de misère qui domine. Il fait gris, l’ambiance est maussade, l’atmosphère encrassée. La densité de population impressionne : dehors, il y a partout des masses de gens agglutinées. Il faut dire que l’Inde a dépassé le milliard d’habitants (1,03 milliards en 2000, avec une densité 5 fois plus importante qu’en Chine, qui d’après les prévisions sera dépassée par l’Inde d’ici 2050).


A l’arrivée, le chauffeur nous réclame 550 roupies (pour mémoire: 100 roupies = environ 2 euros), au moins le double du tarif régulier, et on se rend compte juste à temps de la méprise sur le nom de la ville…c’était bien la gare routière la plus proche… Il nous ramène donc à bon port, et j’apprends que le prix du trajet correct aurait été de 150 roupies… A l’arrivée, je râle un peu et le « brave » chauffeur, grand seigneur, me rend 100 roupies : c’est toujours ça.


Le quartier de la gare routière est lui aussi assez crasseux. Un vieux nous guide jusqu’à une compagnie de transport qui nous vend des billets pour Solan, 450 roupies par personne pour les 300km en minivan (le prix que je paierai pour le trajet retour en bus climatisé tout confort…mais à ce moment là, je n’avais encore qu’une vague idée des prix « réguliers »).

A tout hasard, je demande la durée du voyage : 10 heures. Pour faire 300km. Je commence à comprendre la notion de temps et de distance à l’indienne.
En tous cas, départ à 22h, et toute la journée à tuer.


On commence par faire un tour aux environs de la gare, à la jonction de plusieurs quartiers assez intrigants : on se retrouve d’abord dans le coin de la mécanique. Des rues enchevêtrées et des centaines de magasins de pièces détachées, tout ce qu’il faut pour tout ce qui roule. Aucun touriste dans les environs, et tout le monde nous regarde d’un air intrigué…

Je me rend compte que comme au Japon, les gens s’intéressent beaucoup au visiteur étranger : ils le regardent, d’un air amusé ou réprobateur, souvent viennent lui parler. C’est un peu la bête curieuse, ce qui ne diffère pas du Japon (du moins jusqu’à la dernière décennie, ou dans les campagnes encore aujourd’hui), mais il y a aussi, en plus, ce mythe de la richesse (l’équation ETRANGER=RICHISSIME), plutôt galvaudé dans notre cas….
 
On continue notre ballade pour se retrouver dans une rue en terre battue, visiblement le coin des avocats, notaires et écrivains publics, dont les étals sont alignés de part et d’autre de la rue sur une bonne centaine de mètres, avec leurs piles de paperasses et leurs machines à écrire… Un marchand de fruits ambulant me fait signe que ce n’est pas un coin pour nous…il a raison, il n’y a rien à y faire, et en plus c’est un cul de sac.
 

On décide d’aller visiter Lal Killa, le fort de Delhi pour tuer le temps…premier voyage en rikshaw : le pauvre chauffeur à du mal dans les montées, on pèse lourd avec nos sacs.

50 roupies pour lui, là encore au moins le quadruple du prix régulier, mais le pauvre est en nage, alors c’est bien le minimum…

Après avoir réglé nos billets au prix fort au guichet « étrangers » (200 roupies, 20 fois le tarif d’un Indien, comme dans tous les monuments publics)  , on passe au détecteur, et nous voilà dans la place. L’endroit est très beau, avec ses grands jardins (même si les petits canaux décoratifs sont à sec), et son mélange d’architecture indienne (grès rouges) et musulmane (marbres blancs)…Un peu partout, des soldats en armes surveillent. On visite un musée des armes, un autre de pièces historiques, pas très intéressants. Plus loin, un troisième retrace avec force portraits et tableaux épiques terriblement kitsch le cheminement vers l’indépendance, des grèves des docks de la Compagnie des Indes à la partition de 1947, en passant par les divers soulèvements, violents comme les attentats anti-britanniques, ou pacifistes comme la Marche du Sel de Gandhi, père de la nation, dans les années 30. C’est plus intéressant, mais les textes en anglais des panneaux explicatifs sont interminables, bourrés de barbarismes, de répétitions et de subtilités politico-historiques insaisissables.



A la sortie, on s’engage à pied vers la Place Gandhi, en traversant un célèbre bazar. Sur la route, la circulation est incroyablement dense, et sur les trottoirs où on marche, idem. Tout ce joli monde se bouscule dans une belle confusion, et les vendeurs racolent les clients de leur mieux, à plus forte raison les étrangers. On veut nous vendre des chemises, des montres (de contrefaçon), des bracelets, des tapis, des brosses à cheveu (dont on nous vante les mérites en nous brossant au passage), tout et n’importe quoi…



C’est plutôt fatigant, mais mon amie veut un sari. On entre dans une boutique un peu au hasard. Tout de suite, un vieux moustachu sémillant nous fait monter à l’étage…On nous apporte tout un tas de saris, évidemment les plus chers, et c’est parti pour l’essayage. Difficile d’avoir une indication claire sur le prix (« ne parlons pas de ça cher ami, pour vous, bien sûr, ce n’est pas une question de prix : il vous faut le meilleur » ; « vous êtes étudiant ? Comme mon fils ! Mon cher, vous m’êtes si sympathiques, je vais vous faire une magnifique réduction !! », etc etc…) Mais le vendeur s’avère plutôt réglo…La demoiselle se décide pour un sari en soie (1000 roupies), non sans avoir hésité sur une magnifique tenue de mariée qu’on lui a enfilée manu militari… Très joli, mais pour l’instant ça suffit…
 

On passe devant le seul Macdo de Delhi, puis devant la Place Gandhi, joli parc fermé au public (ou peut être joli parce que fermé au public, vu la crasse partout ailleurs…). On décide de retourner à pied vers la gare routière… On croise des vaches, des singes, des vendeurs de toutes sortes au bord de la route – surtout les petites roulottes des marchands de verres d’eau –, des montagnes de déchets, des odeurs fétides, des éclopés parfois affreusement déformés et autres mendiants toujours assez insistants.



On a faim, mais on manque de petites coupures, et les gens détestent faire de la monnaie, ou pire encore, prendre des coupures de 500 roupies (souvent falsifiées) pour régler des achats de moindre coût.

J’achète tout de même un petit plat de samosa vendu dans la rue dans une coupelle en feuilles séchées (un système malin…les Indiens sont des pros de l’emballage recyclable jetable, en feuilles ou papier journal…). Mon amie, élevée dans le culte japonais de la propreté, a du mal à jeter l’assiette vide dans la rue…Il lui faudra un bon moment pour prendre le pli.

Nous revoilà dans la zone de la gare…A un distributeur, je retire 500 roupies en coupures de 100…miracle, ça fonctionne ; comme mon téléphone mobile français d’ailleurs (les Indiens sont d’ailleurs accros au mobile : même au monastère, tous les moines en ont…). On n’arrête pas le progrès.

Du coup, on achète de l’eau, des gâteaux et des « Beedies » (ou « Bidi » ou « bili »), ces cigarettes indiennes que tout le monde fume à tours de bras, formées d’une simple feuille d’eucalyptus aromatisée, roulée et nouée d’un petit fil rouge ou d’une bague de papier, qu’on paie entre 2 et 5 roupies le paquet.

Ensuite, on va manger dans un bouiboui du « quartier de l’automobile », à l’une de ces innombrables échoppes en plein air. Au milieu des mouches, on avale un curry tiédasse avec des chapati graisseux et des pickles issus d’un fruit indéfinissable et terriblement salés.
Ce resto là n’était pas la bonne pioche, mais pour 10 roupies le repas, on ne va pas se plaindre.
 

Restent 3 heures à tuer, on décide de les passer dans un petit parc du coin. La nuit tombe vers 19h, on entend le muezzin de la mosquée d’en face chanter ses Allah Akhbar, c’est très joli.
Au cours des 3 heures, une bonne vingtaine de personnes seront venues nous accoster, pour nous proposer parfois des services plus ou moins louches (du change aux « médicaments »), mais le plus souvent juste pour discuter, dans un anglais plus ou moins approximatif. Les mêmes questions reviennent en boucle : « d’où venez vous ? êtes vous mariés ? quel âge avez-vous ? que faites-vous ici ? l’Inde vous plaît ? »... Pas très rassurés au début, comme tout au long de ces premières journées, on finit par réaliser que personne ici ne nous veut le moindre mal. Pas de menaces, pas de vente forcée (les fournisseurs de « services » vous laissent tranquille une fois que vous leur avez fait comprendre que vraiment, tout va bien, vous n’avez besoin de rien).

 

Les gens qui viennent sont le plus souvent des jeunes, toujours des hommes.
On devait faire un tableau insolite, un Français et une Japonaise traînant dans ce parc à la tombée de la nuit, allongés sur le rebord d’une fontaine asséchée. Parfois, les gens s’inquiétaient pour nous, demandaient si tout allait bien : il fallait leur expliquer qu’on se reposait un peu en attendant le bus.
Certains jeunes venaient dans ce parc pour faire de l’exercice : ils me proposaient de faire des pompes et des abdos avec eux. Des hommes plus âgés venaient s’installer pour discuter entre eux, me donnaient du feu. Je leur offrais en échange de petites pâtes de haricot sucrées japonaises…Vers 20h, un autre est venu s’allonger de l’autre côté de la fontaine. Sa chambre à coucher, visiblement. Il m’appelle alors qu’on va partir, pour me donner une cigarette. Mais je ne fume que les beedies…
A 21h30, on retourne au lieu de rendez-vous, devant l’agence. Peu après, le minibus arrive, on nous précipite à bord : c’est un petit van de 14 places, assez miteux, et plein.
 

Ensuite c’est le départ, la sortie de Delhi prend bien 1h30, dans un chaos aussi indescriptible que la veille… On s’arrête de temps en temps quand ça ne roule vraiment plus, et le chauffeur, l’oreille perpétuellement vissée à son portable, en profite pour hurler par la fenêtre « SOLAN, SIMLA !!! », la destination, et trouver un passager pour occuper la dernière place disponible. On s’arrête au bout de deux heures sur une aire d’autoroute. Les gens mangent, on prend le « chaï » (thé traditionnel indien aux épices, moitié lait et très sucré), les chauffeurs de camions se font masser. Une fois quitté Delhi, la circulation s’améliore, avec des ralentissements par à coups quand la route est impraticable, bondée, bloquée par un camion en panne, un péage ou un barrage de police. De toutes manières, ça ne dépasse jamais les 50 à l’heure. Plusieurs fois, on doit s’arrêter à cause de l’état incertain du moteur, auquel le chauffeur accède par une trappe située entre les deux sièges avant. Il a bientôt les mains pleines de cambouis, mais ça repart, toujours musique à fond.

 

Solan - Dolanji

 

Au petit matin, on arrive dans les montagnes. C’en est fini de la pollution, du bruit et du bordel oppressant de Delhi. L’air est plus pur à mesure qu’on monte, le paysage humain ne change pas tellement, avec toujours ces échoppes au bord de la route et ces grappes de gens, mais on sent moins de misère, moins de pression, de cette lutte permanente pour la survie et les roupies qu’on voit à Delhi.


La brume s’accroche aux montagnes, la lumière est magnifique. Nous voilà à Solan, ou le chauffeur nous débarque en vitesse avant de poursuivre vers Simla, l’ancienne capitale d’été de l’Empire des Indes anglais, plus au nord. On prend notre premier auto-rikshaw, ce croisement étrange entre la pétrolette et le tricycle, et on redescend sur l’autre versant de la montagne sur une dizaine de km pour accéder au monastère Bon de Dolanji, niché à flanc de montagne dans une petite vallée parallèle. La route est de plus en plus étroite, cabossée, puis ce n’est plus qu’un chemin de terre caillouteux…Il a plu et les ornières sont presque aussi profondes que le Gange…
Au détour du chemin, une silhouette familière. C’est mon père qui nous attendait. « Chello, chello ! » (« allez », « on y va ! » ), on dérape les derniers mètres et nous voilà au monastère.



On a une chambre confortable dans la guest house, bâtiment récent comme beaucoup d’autres dans ce monastère en pleine expansion, m’explique mon père : il y a encore 5 ans, en fait de « guest house », il y avait une petite maisonnette en terre battue. La chambre est en pension complète, pour moins de 200 roupies (3 euros) la nuitée…
Il a quelque chose, cet endroit… En quelques heures, la fatigue et le stress de Delhi, du voyage, ont disparu. L’atmosphère est complètement différente ici, et le fait de retrouver mon père, qui semble heureux et apaisé et vient de planter son verger juste en contrebas, me fait plaisir.



Il nous fait visiter le monastère. On passe d’abord dans la bibliothèque, bâtiment en cours de finition qui abritera un centre de recherche sur la culture Bon, puis dans les ateliers : menuiserie, peinture, tissage… On trouve le Rimpoche (l’abbé) dans une cour du monastère : il « supervise » le nettoyage des racines d’un arbre planté quelques années plus tôt par le Dalaï Lama, dont la visite est prévue pour le printemps prochain et provoque déjà l’effervescence. A l’atelier du menuisier, on peut voir un énorme trône traditionnel fabriqué pour lui. Le Rimpoche, flanqué de son « premier ministre » (l’administrateur du temple), a l’air très sympathique.




On passe ensuite devant le grand temple. Dans la cour, une centaine de moines semble s’engueuler joyeusement avec de grands gestes. En fait, c’est un exercice de débats, controverses théologiques illustrées par une gestuelle codifiée.



J’y fais la connaissance de Tempa, mon « frère adoptif » népalais. Il a une bonne tête, mais pour l’instant, il est occupé, et je crois qu’on est tous les deux un peu gênés par cette première rencontre entre deux portes… On se reverra le soir après manger.

On continue la visite avec les échoppes en contrebas, puis le village. Mon père a l’air de connaître pas mal de monde. On passe chez un vieil homme malade, un ancien soldat, qu’il connaît depuis plusieurs années. Il a une tumeur au ventre, grosse comme le poing. On aperçoit l’école en contrebas, construite il y a quelques années grâce au financement d’un mécène suisse. A côté, le « village des enfants », un internat qui accueille une centaine d’enfants pauvres, souvent des réfugiés.


En remontant, on passe chez l’orfèvre du monastère, un jeune un peu « fashion victim » qui nous accueille et nous présente à sa famille : ils vivent tous dans une grande pièce pleine de tapis derrière l’atelier.


Il nous montre les photos de ses pièces d’orfèvrerie installées récemment au monastère bouddhiste de Kaïs, plus au nord. Calices en or, portes et animaux sculptés en cuivre et or, son travail est magnifique. On fume un beedie et siffle un peu de « local pepsi » (le surnom pour désigner l’alcool fait maison, souvent un alcool de fruits terrible à couper avec de l’eau), mais sa femme est enceinte, l’accouchement est pour bientôt et on ne veut pas déranger plus longtemps. On prend congé après avoir promis d’aller visiter le monastère de Kaïs pour voir ses sculptures. Ca tombe bien, il est juste à côté de Kullu, la ville ou habitent les amis de mon père, et où on doit se rendre le lendemain.
Un Bonpo (moine de la religion Bon) a aidé mon père à louer une voiture avec chauffeur à la journée…2700 roupies pour faire le trajet jusqu’à Kullu, soit environ 250km…



Le matin, on va d’abord présenter nos respects au Rimpoche. Il nous bénit une écharpe en soie, et nous passe la « corde au cou », un petit fil rouge qu’il faut garder jusqu’à ce qu’il casse de lui-même. On signe le registre ; mon père y retrouve la page sur laquelle ma sœur et lui avaient signé en 1997. Ces histoires de registres rappellent une anecdote au Rimpoche : il nous raconte qu’un Allemand est venu il y a quelques années, à la recherche de sa femme qui l’aurait quitté pour un Indien et serait passée dans ce monastère. L’Allemand a écumé tous les registres, mais n’a jamais retrouvé le nom qu’il cherchait. Sur ces bonnes paroles et un jus de fruits, il est temps de s’en aller... Avant de partir, le Rimpoche veut me donner l’adresse du représentant du Dalaï Lama à Tôkyô, mais pour l’instant, pas moyen de la retrouver. Ce sera pour notre retour dans 15 jours…

Le taxi nous attend : c’est un petit van qui annonce fièrement « 4x4 », vantardise un rien douteuse. Le chauffeur est un jeune à casquette qui aime bien taxer des cigarettes. On s’entasse à 3 derrière et Tempa devant, et c’est parti, en musique comme d’habitude. Il faudra la journée pour rallier Kullu via les petites routes de montagne.



Au bord de la route, je vois le seul éléphant de tout mon séjour, mais surtout des singes, des chiens errants et évidemment des vaches, toujours aussi maigres, élégantes et insouciantes. Le voyage se passe plutôt bien jusqu’à l’arrivée à Kullu, vers 18h…le chauffeur renâcle un peu pour nous monter jusqu’au village de Bhekli, 10km de route en lacets au dessus de la ville. Il en profitera pour négocier un bon petit « extra charging » à l’arrivée, et réclame 3500, 800 de plus que ce qui était prévu.... Je coupe court à la discussion fatigante en lui refilant 3200, et il s’en va illico refaire les 250km en sens inverse sans demander son reste.


KULLU - BHEKLI

La maison des Sharma est la première à l’entrée du village de Bhekli juste au bord de la route qui s’arrête 200m plus loin. Du parapet en terre devant la maison, on a une vue imprenable sur la belle vallée de Kullu, appelée aussi « vallée des dieux ».



La maison elle-même est une construction assez sommaire en béton, bâtie à flanc de montagne, d’où d’abondantes infiltrations d’eau. Elle comptait deux pièces à l’origine, la chambre/salon/salle à manger à gauche et la cuisine à droite, avec un petit réduit au milieu pour se laver à l’aide d’un seau d’eau et faire la vaisselle. Une seconde chambre a été ajoutée ensuite sur la gauche, et 2 pièces supplémentaires sont en cours de construction à l’étage.




Il n’y a ni toilettes, ni eau courante. On fait ses besoins à proximité, et on tire l’eau, abondante dans ces montagnes, d’une source un peu plus haut. Pour la chauffer, un feu et une marmite. La cuisine est assez sommaire : il n’y a pas de mobilier en dehors d’un établi sur lequel repose le réchaud à gaz, et d’une table basse ou on pose assiettes et couverts. Le reste est entreposé au sol.
Un grand lit occupe la majorité de l’espace dans la pièce voisine. Sur ce lit, la famille dort, les enfants jouent, font leurs devoirs, on mange, on regarde la tv (avec son récepteur satellite…), etc. Autour du lit, des étagères et commodes complètent le mobilier.
 
Pawan, le père, est issu d’une famille de brahmanes, la caste la plus élevée. (Officiellement, le système des castes est aboli, mais il reste imprimé dans la tête des gens, et joue un rôle social énorme et très contraignant. Grosso modo, il y a 4 castes principales dans la tradition védique. Il s’agit à la base de catégorisations socioprofessionnelles imposées progressivement par les religieux : dans l’ordre décroissant, il y a les brahmanes – prêtres – , les Kshatryas – guerriers, nobles – , les Vaishyas – commerçants – et les Shudras, qui servent les 3 autres. Dans les faits, la classification est bien plus complexe avec de nombreuses sous-castes et autres subtilités. Les activités touchant à la souillure comme barbier ou blanchisseur, à la mort comme équarisseur ou tanneur sont à l’origine de l’exclusion en hors-castes, les intouchables.)
 

L’appartenance à une caste est héréditaire et en théorie immuable. La famille Sharma par exemple, fait partie de la caste supérieure des brahmanes, c’est donc une famille de notables dans ce village. Pawan a d’ailleurs été prêtre hindouiste jusqu’à une dizaine d’années auparavant ; il a alors laissé tomber cette voie et s’est marié, mariage arrangé comme dans 95% des cas en Inde. Les parents choisissent le conjoint de leur rejeton en fonction de plusieurs critères : caste d’appartenance, importance de la dot, propriétés de la belle-famille pour des alliances stratégiques… Les enfants n’ont pas leur mot à dire.

Il semble que tout ça ait posé pas mal de problèmes à Pawan au début de son mariage, mais aujourd’hui la situation semble s’être grandement « pacifiée » avec son épouse Primilla.
Leur fils aîné, Parek, a 8 ans. Il va à l’école, semble très studieux et intelligent. Il apprend l’anglais et baragouine quelques mots, le plus souvent pour nous vanter Spiderman, son héros préféré dont visiblement il ne sait rien des aventures et de la mythologie complexe : il se contente de les imaginer d’après les vignettes qu’il achète à l’épicerie du coin. Il en a aussi une de Batman, et l’ambivalence gentil-méchant qui se dégage de son costume semble le plonger dans un abîme de perplexité. (Plus tard, je lui enverrai les films de Spiderman et Batman…je me demande s’il les a vus, et si l’image des deux super-héros est conforme à ce qu’il imaginait…)
La fille, Prya, a 4 ans. Comme Parek, elle est souriante, curieuse et assez espiègle. Elle aime surtout les caramels qu’on achète à la pièce dans les épiceries pour ½ roupie pièce, et qu’elle réclame à grands cris de « Toffee !!! Toffee !!! ». Les deux étaient ravis des petits cadeaux ramenés du Japon : pipes à faire des bulles, balles rebondissantes vite perdues sur la route et surtout pistolets à eau, armes fatales vite retournées contre nous.

Nous allions rester une dizaine de jours dans cette maison, dormant tantôt dans la chambre d’amis dont la quantité de poussière engendrait de prodigieuses allergies, tantôt dans la pièce en construction au dessus, dont le toit en tôle laissait généreusement passer les pluies.

Habituellement, les repas de midi et du soir consistaient en de larges plâtrées de légumes ou de Dahl (lentilles en sauce curry, le plat national) toujours très épicées et accompagnées de chapati – galettes rondes de pâte à pain cuites sur place – ou de riz. On mange tout ça avec les mains (la droite de préférence, mais je ne sais pas s’il s’agit d’une règle), et la maîtresse de maison insiste toujours pour nous resservir en abondance, dans des proportions incompatibles avec la taille de nos estomacs. Rien d’étonnant si son mari constitue le critère de mesure : il ingurgite des quantités énormes, en temps record. Assez vite, on apprend les mots hindi pour dire « non merci » (ji nei) ou « ça suffit » (bass !), Primilla parlant très peu anglais.



On ne peut en dire autant du mari, personnage atypique doté d’un bagout impressionnant, prêt à passer des heures à discuter de tout et de rien en anglais avec nous ou en hindi avec Tempa. Il se lance avec lui dans d’interminables débats théologiques sur l’identité de dieu ou le sens de la vie, et se moque gentiment des règles strictes de sa vie de moine. Les questions perfides sur la force de la conviction religieuse du jeune bonze déboucheront assez vite sur des paris stupides concernant son éventuel retour prochain à la vie civile, inéluctable pour Pawan qui lui prédit pour dans 5 ans maximum une femme et des enfants.


Avec nous, il se montre extrêmement sympathique et ouvert, sans obséquiosité même si on sent qu’il aime bien s’afficher dehors en compagnie d’étrangers. Il est extrêmement fier de son pays, dont il vante le système politique démocratique, l’essor économique et la diversité religieuse. Il reste assez lucide sur l’envers de ces qualités : corruption endémique, pauvreté extrême dans une société de plus en plus coupée en deux par l’essor économique qui laisse sur le carreau près de 400 millions d’Indiens pauvres, et communautarisme religieux parfois violent (la coexistence semble cependant se passer de mieux en mieux sur ce point, ce qui relève du miracle vu le caractère virulent des activistes des 2 religions principales, hindouisme et islam. L’Inde compte plus de 120 millions de musulmans, ce qui en fait le 3ème pays au monde après l’Indonésie et le Pakistan. Les hindouistes représentent eux 80% de la population, les 5% restants étant partagés entre sikhs, chrétiens, bouddhistes et parsis).
Il est aussi très intéressé par le tableau qu’on lui dresse des sociétés française et japonaise, surtout concernant la situation économique et les problèmes qu’elle engendre en France, et la situation internationale entre le Japon et ses voisins. Car les problèmes socio-économiques dans un pays capitaliste avancé comme la France risquent fort d’apparaître tôt ou tard en Inde, actuellement en plein essor, et la situation tendue pour des raisons historiques entre le Japon et les pays environnants fait écho à la relation difficile entre l’Inde et le Pakistan – 2 puissances nucléaires –, inaugurée dans la douleur de la partition en 1947 et prolongée par la question du Cachemire, région frontalière que les deux pays se disputent depuis l’Indépendance.
 


Le lendemain matin de notre arrivée, un vieil homme est passé nous chercher à la maison : il s’agit de Bidhuram, un vieil ami de mon père. Avec lui et Wyan, le père de Pawan, les 3 formaient ce qu’ils appelaient en rigolant la « Sarjur Connection », du nom de la passe himalayenne où ils s’étaient rencontrés, il y a plus d’une dizaine d’années. Bidhu nous invite à passer la journée chez lui, plus haut dans la montagne, avant d’aller voir une fête traditionnelle qui devait avoir lieu dans la soirée. Nous sommes donc montés chez lui à pied, sur de petits sentiers qui disparaissaient parfois totalement dans les champs, cultures en terrasse qui assurent la prospérité et l’autosuffisance dans la vallée : légumes, maïs, pommes surtout, qui constituent la principale richesse du coin et dont le commerce à enrichi les habitants depuis une centaine d’années. La marijuana pousse ici comme de la mauvaise herbe, en grands buissons envahissants…il semblerait que les vieux villageois s’en servent de temps à autres.




La montagne est truffée de ces petits sentiers que les gens empruntent en l’absence de routes pour se déplacer et transporter les marchandises, parfois avec des mules. Les enfants des villages environnants font tous les jours la marche pour se rendre à l’école située à Bhekli.

 

Vers midi, on arrive donc chez « Bidhu », une belle maison traditionnelle à l’entrée du prochain village en haut. La maison traditionnelle indienne, du moins dans cette région, est longue, bâtie en bois et torchis sur deux étages : au rez de chaussée les granges, étables et ateliers (c’est une famille de menuisiers), à l’étage la cuisine et les chambres au sol de terre battue, avec des placards en bois encastrés dans les murs et de belles fenêtres ouvragées, et une longue véranda elle aussi tout en bois qui suit la façade sur toute sa longueur. Nous faisons la connaissance des deux fils de Bidhu, Chûni le cadet (20 ans), très timide, et Dilhu l’aîné (22 ans), plus expansif et qui parle un anglais un peu hésitant mais compréhensible. L’épouse de Bidhu, Idrassi, est une femme aimable, effacée comme visiblement toutes (ou presque) en Inde, toujours souriante sauf quand on veut la photographier, phobie  - ou coquetterie – que semblent partager pas mal de gens d’un certain âge.

 

On visite la maison, essaye le métier à tisser…mon père nous explique que les familles comme celle-ci vivent en quasi auto-suffisance : tous leurs besoins sont couverts par les cultures et la nature environnantes. Ils n’achètent que l’huile, le sucre, le thé et les épices…
 

Nous passons l’après-midi sur la terrasse, affalés sur des coussins, à discuter en buvant du thé et un fond de « local pepsi » qui se révèle un terrible tord-boyaux. Bidhu, menuisier, travaille aussi pour Himachal Tourism (comme le père de Pawan avant qu’il ne prenne sa retraite, et pas mal de leurs amis que nous rencontrerons au cours du séjour), la compagnie publique de tourisme et de promotion de la région. Il nous montre une photo prise devant les locaux d’Himachal Tourism à Kullu, sur laquelle les employés de la compagnie entourent le premier ministre indien.



Bientôt, Pawan nous rejoint, accompagné d’un ami caméraman dont je ne connais que le surnom, « One-Two », qui lui aussi parle un anglais excellent.
L’après-midi est pluvieuse, mais passe agréablement en discussions absurdes et hilarantes, notamment l’habituel débat théologique enfiévré entre Pawan et Tempa, toujours très patient et souriant face à ces assauts d’arguments et de controverses sans queue ni tête, qui se terminent invariablement par de grandes poignées de main ponctuées de « no offense !! »…

Vers 17h, on grimpe sur une hauteur au dessus du village pour assister à la fête. 100 ou 200 personnes sont rassemblées là, et on se trouve une place à l’écart des excréments qui traînent un peu partout. On nous explique le principe : un chemin d’une dizaine de km part des villages au dessus pour aboutir à une grosse pierre, juste sous la hauteur où nous sommes. Les jeunes des villages doivent courir pour atteindre la pierre ; mais de part et d’autre du chemin, d’autres jeunes armés de branches épineuses les attendent pour les frapper au passage, en veillant si possible à ne pas frapper leurs concitoyens du même village.




Comme d’habitude en Inde, le tout prend du retard et ce n’est qu’à la tombée de la nuit qu’on voit arriver les coureurs, qui foncent bras en avant et se font copieusement rosser, s’étalant souvent de tout leur long, parfois dans le ravin. Je demande ce qu’il en est des blessures causées par les épineux, on me répond que ce n’est rien : la plante est « médicinale », et « d’ici 2 à 3 jours, il n’y paraîtra plus »…
Toujours est-il qu’en un rien de temps, le vainqueur atteint le rocher. Il gagne un an de bonne fortune, et la bonaventure dite au cours de la cérémonie qui va suivre au village. Il fait maintenant complètement nuit, et rejoindre ledit village n’est pas une sinécure. On se prend par la main, s’éclaire à la lampe torche ou à la lumière des portables…

La petite place est bondée ; les 9 femmes en habits de cérémonie entourent le vainqueur, entament une interminable danse accompagnée d’une psalmodie qui, je présume, doit lui assurer le bonheur pour toute l’année à suivre.
Ensuite, tout le monde reçoit une sucrerie confectionnée sur place: un chapati contenant une pâte de noisettes ( ?) sucrée, qu’on avale avant de redescendre à Bhekli, un autre parcours du combattant sur le sentier rocailleux, où tout le monde se suit à la queue leu leu en trébuchant…
 


Les jours suivants, assez pluvieux, sont plutôt oisifs. Mon père part avec Pawan chercher des arbres à planter au dessus de la maison. Nous traînassons sur place et au village, emmenant avec nous Prya pour acheter ses sacro-saints toffees.

Un matin, dans une ruelle, un homme m’aborde, et dans un anglais approximatif, m’explique en quelques mots qu’il connaît mon père, et qu’il est désolé pour ma sœur. Il me tape sur l’épaule, me regarde encore un coup, et s’en va. Il est difficile de retranscrire à quel point la démarche toute simple et discrète de cet inconnu croisé à l’autre bout du monde m’a touché, plus que toutes les condoléances que j’ai pu entendre ailleurs…

 

Le lendemain, il est temps pour mon père de rentrer à Delhi pour reprendre l’avion.

On descend d’abord à pied, puis un motard me prend en stop jusqu’en bas (on descend sans même mettre le contact), et je suis rejoint peu après par un attelage étrange composé de Pawan, son épouse, sa fille et mon amie, à 4 sur la mobylette… Tempa, stoïque, est descendu à pied.
 

On retrouve mon père dans la nouvelle maison que Bidhu construit en ville. Il a préparé un excellent ragoût de légumes et mouton, qu’on devait partager aussi avec Pawan et son épouse, mais celui là a du filer à l’hôpital pour la faire examiner (elle a fait une mauvaise chute), et ne se remontrera qu’à la gare. Mon père, qui soupçonne là-dessous d’obscures convenances locales, est un peu amer… Mais c’est surtout l’approche de la fin du voyage et la perspective de rentrer en France qui le rend d’humeur mélancolique…

 

On regarde travailler les ouvriers indiens, mon père me montre un beau morceau de haschisch qu’ils lui ont offert ce matin…c’est du joli ! Ils semblent carburer à ça, ce qui ne les empêche pas de travailler sérieusement, contrairement paraît-il aux Népalais qui constituent la main d’œuvre bon marché de base dans le secteur du bâtiment.

 

On descend en ville, déguste une dernière bière achetée au débit d’alcool du coin. Le commerce de l’alcool est un monopole d’Etat, et seuls ces débits sont habilités à en vendre. On siffle la bouteille discrètement dans un café, avant de se rendre à la gare routière de Kullu. Ces gares sont sans doute semblables dans toute l’Inde, et offrent un concentré de tout ce qui fait l’amosphère indienne : les marchands ambulants avec leurs tranches de noix de coco, leur seau de mixture épicée à grignoter (poix-chiches, échalottes et poivrons hachés terriblement pimentés) et autres marchandises parfois indéfinissables, qui passent dans les bus tout comme les mendiantes et leur petit autel portatif qui vous réclament une « offrande » ; la masse de gens plus ou moins désoeuvrés ou en attente de bus dont les horaires sont pour le moins élastiques, et qui se remplissent instantanément dès leur arrivée, parfois jusque sur le toit... les cireurs/réparateurs de chaussures, les chiens errants, les vaches qui fourragent dans les déchets, les vieux derviches qui fument discrètement leur haschisch en cachant leur joint de l’autre main, les magasins qui préparent leur tambouille dans de grandes gamelles de laquelle on la tirera toute la journée au milieu des mouches pour les gourmets téméraires, les plateaux de verres de chaï qui circulent d’un bout à l’autre de la gare, les hurlements des contrôleurs qui remplissent leurs bus, des gars qui se charrient, se tapent dessus en rigolant ; la terre battue détrempée ou poussiéreuse, les véhicules variés, du rikshaw au 4x4, qui tournent tout autour…


Etrangement, le bus de mon père est arrivé à l’heure. C’est un bus « deluxe » du gouvernement, confortable et climatisé, et relativement bon marché : 450 roupies pour rallier Delhi en une nuit. Certes, en bus normal, il vous en coûtera moitié moins cher, mais il vous faudra 2 jours complets dans un inconfort proche des montagnes russes…
 

C’est la bataille au comptoir pour acheter les billets…finalement l’employé, maussade comme tous les employés en Inde, prend l’argent, c’est donc gagné. On hisse la grosse caisse en fer blanc que mon père a acheté pour ranger son barda sur le toit, et très vite, c’est parti.




Avant de remonter, on va déguster un plat de momo dans une échoppe du coin : ce sont des ravioli végétariens ou au mouton, servis frits ou cuits à la vapeur, qui proviennent je crois de la cuisine sino-tibétaine (on les connaît au Japon et en Chine sous le nom de Gyôza). Ils sont servis avec une soupe composée de leur bouillon ; on en profite aussi pour goûter le chômin, plat de nouilles sautées aux légumes, lui aussi issu de la tradition chinoise, tout comme sa version en soupe dont j’ai oublié le nom, et qu’on retrouvera au moins une fois par jour dans les menus du monastère…

 

Près de notre table, un petit graffiti sur le mur : « Devdas loves Paro » …les héros du célèbre film éponyme. D’ailleurs, on parlera beaucoup cinéma indien avec Tempa et Pawan, qui nous montrera quelques uns de ses films favoris, en video-cd. Pour les lire, il doit emprunter le lecteur d’un ami, le seul du village… Comme on parle beaucoup de films européens, américains et des dessins animés japonais de Miyazaki, je décide de leur acheter un lecteur dvd pour pouvoir leur en envoyer à mon retour. Je suis surpris des tarifs élevés, comparables aux prix français (4000 roupies pour le lecteur dvd, soit plus d’un mois de salaire d’un ouvrier)…rien d’étonnant à ce que personne ne soit équipé de matériel récent, ou même de cuisinière ou de frigo… Je parle à Pawan du premier film indien que j’ai vu, KAL HO NAA HO (NEW YORK MASALA), que ma sœur m’avait fait découvrir et qui reste mon préféré à ce jour. La quête du film deviendra ensuite un leitmotiv récurrent de nos visites à Kullu. On finira par trouver le vcd, et je crois qu’il a beaucoup plu à la famille (en tout cas d’après la quantité de rires et de larmes déversées)…


La journée du lendemain fut consacrée aux essais de sari pour mon amie, à qui Primilla fit essayer son sari de mariage, d’un rouge éclatant, accompagné du châle de mariage tissé de sequins dorés, et de la petite marque ronde que les femmes mariées portent sur le front.



J’étais quant à moi occupé à lutter contre la diarrhée, ce qui est certes moins romantique mais inévitable vu les doses d’épices dans la nourriture et de minéraux dans l’eau, auxquelles nous ne sommes guère habitués. Au final, le désagrément, sans être insurmontable, aura bien duré les deux tiers du voyage, malgré l’aide de la médecine ayurvédique laissée par mon père…
(Précisons que dans toute l’Inde et en dehors des hôtels, les toilettes sont rares et le papier encore plus. Mouchoirs, journaux, factures, cartes de visites, pages de livres, végétaux divers et variés, tout est bon quand on a rien sous la main…)
 
Coincés au village par la pluie le week end suivant, nous avons passé une après-midi à jouer aux échecs dans une échoppe tenue par un vieux roublard qui se pressait continuellement une pierre chaude contre le ventre pour atténuer la douleur d’une mauvaise chute.
Les premières parties engendrèrent d’interminables palabres causés par un malentendu mutuel concernant la compréhension des règles… Mon adversaire poussait les hauts cris lorsque je tentais de récupérer une dame après avoir amené un pion sur la ligne de départ adverse : Hérésie !, se récrièrent Pawan et le vieux, pour qui je ne pouvais prendre que la pièce originellement placée sur cette case (en l’occurrence un cavalier puisque mon pion était arrivé sur la seconde case de la ligne). Tempa jouait visiblement sur une règle encore différente : pour lui, on devait prendre une tour, sauf dans le cas ou on avait déjà ses deux tours sur le plateau, auquel cas on avait droit à sa dame… De même, le premier roque que je tentais fut considéré comme une profonde injustice par mon adversaire, qui me regardait d’un air incrédule… Tempa, lui, connaissait la règle, mais dans une version légèrement différente.
Un autre motif de discorde apparut lorsque je parvins à réduire mon adversaire à son roi et un pion, et que je m’apprêtais à éliminer celui-ci. Il se leva alors d’un air indifférent en déclarant « draw »… Selon eux, une partie se solde par un match nul si un camp ne dispose plus que de son roi… Je militai contre l’injustice de cette règle qui permettait à tout mauvais joueur de s’en sortir par un match nul, et mon adversaire revint à la table à contrecoeur… Finalement, une fois les malentendus levés et les règles harmonisées par l’adoption du système « international », comme j’étais bien obligé de l’appeler, les parties s’enchaînèrent agréablement avec Tempa, Pawan, le vieux et moi… Avec 2 victoires pour 2 défaites et un « nul », mes statistiques furent d’ailleurs plus que moyennes…


MANIKARAN


Le lendemain matin, départ en bus pour Manikaran, village célèbre pour son temple Sikh et surtout ses sources d’eau chaude, situé dans la « Parvati Valley », adjacente à celle de Kullu.

La légende veut que les sources d’eau chaude de Manikaran soient issues d’une visite faite ici par le dieu Shiva accompagné de son épouse Parvati (qui a donné son nom à la vallée), qui aurait perdu sa boucle d’oreille dans une anfractuosité de roche. Shiva aurait ordonné au Dieu Serpent des profondeurs de rendre la boucle sous peine de le détruire en ouvrant son fameux 3ème œil. Celui-ci s’exécuta donc en provoquant un geyser qui ramena la boucle à la surface, et avec elle, donc, la source d’eau chaude.
 

J’aimerai ici pouvoir expliquer rapidement le panthéon hindou, mais mes connaissances sont quasi nulles et la mythologie trop riche pour un résumé crédible…

Disons seulement qu’il existe un Dieu suprême et unique, parfois désigné par le nom de Krishna, qui possède un certain nombre d’incarnations dont les trois principales sont Brahma et surtout Vishnu et Shiva, possédant lui-même plusieurs incarnations, une famille étendue et un très large nombre de légendes et d’écoles. Il est sensé vivre sur le Mont Kaïlash, l’un des lieux sacrés de l’hindouisme situé dans l’himalaya (dont le nom signifie d’ailleurs « demeure des dieux »).
Il est représenté dans sa forme humanoïde comme un être bleu, la légende voulant qu’il ait avalé toutes les souillures du monde pour le purifier et sauver les hommes, mais que cette masse de souillure soit restée dans sa gorge, lui donnant alors cette couleur.
Il est représenté dans sa forme originale par une pierre dressée de forme cylindrique (phallique ?) appelée Linga.
Le fils de Shiva est Ganeisha, le dieu à tête d’éléphant. Il est considéré comme le professeur des hommes, à qui il enseigne la connaissance des dieux, et joue le rôle d’interface entre eux et les hommes. Il est aussi dieu de la richesse et de l’abondance, et il est donc recommandé d’en posséder une statue ou effigie.
Il y a une déesse mère nommée Devi, qu’on retrouve principalement sous 3 formes humanoïdes : Shri, forme bénéfique, Kali, forme terrible, et Durga, forme guerrière juchée sur son cheval. On trouve aussi Hanuman, représenté par un homme à tête de singe, qui est le dieu de l’astuce dans la mythologie vishnouïte.

La plupart du temps, les temples hindous (shivaïtes du moins) comportent des représentations humanoïdes et sous forme de Linga de Shiva, des représentations de Ganeisha ainsi que de la déesse mère sous l’une ou l’autre de ses formes.





Concernant la théorie, il me semble que l’hindouisme partage un certain nombre de concepts de base avec le bouddhisme, tel celui de samsara – réincarnation, lié au concept de karman – actes accomplis dans les vies antérieures. Le but étant de livrer une vie pure pour limiter son karma et finalement quitter définitivement le cycle des réincarnations. Ce concept est d’ailleurs au centre de la ville sainte de Bénarès, au bord du Gange : disperser ses cendres (après incinération) là-bas permettrait ainsi de mettre directement fin au cycle des incarnations…Les cendres arrivent donc à Bénarès de toute l’Inde, et même au-delà…

(Les enfants ou les vaches – entre autres – ne pouvant être incinérés, ils sont jetés tels quels dans le Gange, participant de sa pollution endémique…)
 


Nous voilà donc partis pour Manikaran…Le temps était magnifique, et nous en avons profité pour faire la route sur le toit du bus, expérience fort agréable et ludique puisqu’il faut constamment se baisser pour éviter les branches basses et les lignes électriques…


Il faut 2 heures de route pour faire les 30km jusqu’à Manikaran. Le départ du bus est l’occasion de nous rendre compte d’un tic de langage de Pawan concernant les transports en commun indiens : invariablement, quand un bus n’arrive pas ou ne démarre pas et qu'on lui demande combien de temps il va falloir attendre, il nous répond d’un laconique « dans 10 minutes »…Ce qui au final équivaut grosso modo à 1h de retard au départ ou à l’arrivée… Quand on lui fait remarquer le côté comique de la distorsion temporelle, il nous fait la réponse habituelle, la seule possible pour répondre à tous les désagréments possibles en Inde : « It’s India ! » …une expression à retenir pour tous les voyageurs en Inde.
 
Mais enfin on a fini par arriver. Le village est très beau, dans une vallée encaissée et coupée par un large torrent sur lequel un pont est jeté entre les deux parties de l’énorme temple sikh.



Notre hôtel est parfaitement luxueux, avec une vue magnifique sur le temple, un grand lit et une large salle de bain à robinets dorés (sans bain comme d’habitude : on fait couler l’eau à même le carrelage, comme au Japon)…mais sans eau chaude, ce qui est étonnant vu les nombreux tuyaux qui relient les établissements de la ville aux sources d’eau chaude. On apprendra qu’en l’occurrence, ils ne sont reliés qu’à un bassin commun au rez de chaussée de l’hôtel.



Pour l’instant, on traverse le bazar dans lequel je prends pour des bâtons de réglisse alléchants des bouts de bois vendus comme….cure-dents, et on va faire nos ablutions dans un bassin en plein air, séparé de la rue par un petit muret. Le bassin des femmes est situé derrière.




L’eau, cependant, est bouillante, et on ne peut que s’accroupir à côté du bassin pour se laver au godet… Un mince filet d’eau froide coule du plafond par un tuyau, bien insuffisant pour ramener ce magma a température humaine…
 

Le lendemain matin, nous visiterons le temple sikh en détails, à commencer par les bassins situés au rez de chaussée, à l’eau plus tempérée dans laquelle on peut enfin se baigner. Pawan fait l’imbécile et est rappelé à l’ordre par un vieil enturbanné de la police religieuse qui nous interdit de nager et nous intime de rester immobiles lorsqu’on est dans l’eau…la discussion est houleuse, Pawan rétorque au vieux qu’il vient depuis qu’il est gosse et qu’il a toujours nagé…le vieux explique que cette mesure a été prise pour éviter que les touristes, qui font n’importe quoi comme chacun sait, ne gênent les pèlerins… ah, ces touristes…



Après le bain, on se déchausse et on se couvre la tête pour monter à l’étage payer nos respects à l’autel du patriarche Sikh qui a fondé le temple au 16ème siècle. On reçoit une sucrerie et fait le tour de l’énorme salle ornée de tableaux d’illustres enturbannés assez semblables à des mollahs. Le sikhisme est une religion monothéiste fondée au début du 16ème siècle par son patriarche Nanak, et visiblement très influencée par l’Islam dont elle est cependant totalement distincte, ses adeptes adorant avant tout leurs grands patriarches. Les Sikhs représentent moins de 2% de la population indienne, mais n’en ont pas moins joué un rôle historique et culturel important. Il existe aussi un activisme terroriste sikh au Penjab (la région de Delhi) destiné à faire reconnaître un état autonome sikh, mais visiblement les choses semblent s’être relativement calmées aujourd’hui.
 

Juste à côté de la grande salle de prière, on sort par un couloir et on tombe sur un petit temple hindou, dans lequel on reçoit la marque rouge sur le front et quelques grains de riz soufflé sucré… toujours ce melting pot culturel (« masala » en indien : c’est le mix d’épices pour faire le curry)… On passe dans un sauna chauffé naturellement par d’énormes rochers souffreux, puis on débouche dans une autre grande salle striée de rangées de tapis. On prend une large assiette en fer blanc et on s’assoit sur la rangée du fond. De larges barbus coiffés de beaux turbans orange viennent à tour de rôle nous remplir les 3 compartiments de l’assiette à la louche puis nous donner des chapati et du lassi (lait fermenté). Il y a du riz en sauce, des petits légumes et un jus blanchâtre et un peu âcre aromatisé aux herbes. Tout ca fait très « cantine »…Après le repas, on va rendre nos assiettes et s’asseoir sur la rangée de devant avec un gobelet, où un autre barbu vient nous verser du thé pour finir en beauté ce sympathique petit déjeuner, offert gratuitement à tous les pèlerins…


BHEKLI

Au retour, on s’arrête à Kullu pour récupérer les vêtements traditionnels que mon amie a fait confectionner : pantalon large, tunique longue et écharpe, ainsi que le petit ensemble qu’on porte avec le sari. C’est son anniversaire, et Pawan s’arrête dans une pâtisserie pour acheter un gâteau « à l’occidentale » et les bougies qui vont avec. J’achète une bière au dépôt d’alcool où le préposé me regarde d’un sale œil…au moment où mon amie m’y rejoint, je me ravise en pensant au nombre de personnes prévues le soir et demande une 2ème bouteille…le vendeur me répond sèchement « non ! », et je n’ai jamais compris pourquoi, Pawan lui non plus n’ayant pas pu me répondre… Peut être ce vendeur acide a-t-il pensé que je voulais faire boire une fille, ce qui semble visiblement réprimé par les convenances (en effet, le soir, seuls les hommes nous accompagneront pour boire la fameuse bière, les femmes restant dans l’autre pièce…)

J’achète aussi une noix de coco…à ma grande surprise, mon amie n’en a jamais mangé…

En remontant sur Bhekli, le bus croise un troupeau d’une centaine de chèvres, qu’il faut écarter à grands cris et coups de klaxons…



La soirée est sympathique, conclue en chanson par un bœuf au djumbe et au piano à vent (Cliquez ici pour un extrait video)
…Nos hôtes insistent pour qu’on leur fasse entendre des chansons japonaises…je chante moins bien qu’une vache, et je frissonne encore en pensant à la souffrance que j’ai dû leur infliger, mais la voix de mon amie, bien plus douée mais trop timide, ne parvenait même pas à couvrir le tambour…

 
MANALI

La « permission » de 8 jours obtenue par Tempa se terminait dans 2 jours…

On décidait donc d’aller visiter Manali, une ville touristique située 50km au nord, et de passer en revenant par le monastère bouddhiste de Kaïs. Pawan pour une fois appelé par son travail à la compagnie d’électricité, on partit donc tous les 3, sous une pluie battante…Le voyage en bus sur des routes étroites et glissantes au bord des falaises fut assez laborieux. On croisa plusieurs accidents, voitures tombées dans la rivière en contrebas ou camions basculés dans le champ d’à côté…le seul moment en Inde où j’ai vu des accidents…qui bloquaient parfois la route pendant une bonne heure, tout le monde descendant alors pour aller observer la scène.
 

Manali est effectivement une ville très touristique, située sur la route du nord et des vallées en contrefort de l’himalaya, zones de trek ou de tourisme bouddhique avec les villes de Leh ou Dharamsala, capitale du gouvernement tibétain en exil où séjourne le Dalaï Lama (protégé en permanence par une cohorte de gardes armés, me disait mon père qui y est passé et en a gardé un souvenir mitigé).

 

Beaucoup de boutiques de souvenirs et d’étrangers, une ambiance qui me met mal à l’aise. On croise des jeunes barbus venus chercher l’éveil spirituel ou spiritueux, des mamas israéliennes et des troupes d’Américains. La ville elle-même a peu d’attrait, mais est entourée de plusieurs lieux touristiques : plusieurs temples hindouistes ainsi qu’une petite source d’eau chaude dans laquelle je me baigne sous la pluie, en compagnie d’un large et sympathique musulman de Bombay avec qui je fais la causette sous l’œil réprobateur de deux étrangers néo-hippies, pour qui visiblement « sympathiser avec l’autochtone », comme ils diraient sans doute, est une marque de pédance…

Je ne comprends pas ces touristes qui ne viennent que pour voir et pour prendre et refusent d’être vus et de donner, ne serait-ce que quelques paroles, et de se mêler à ceux qui ont fabriqué cette civilisation qu’ils viennent consommer comme une marchandise exotique, quand ils ne viennent pas, comme certains spécimens qu’on verra à Dolanji, s’acheter une conscience ou le salut dans les monastères, comme des « denrées » qu’on peut quantifier et monnayer…

On passe ensuite de l’autre côté de la vallée pour visiter un temple hindou situé en forêt. A l’intérieur, marquées dans le roc, des traces de pied à l’authenticité suspecte sont vantées comme celles de la déesse mère Devi. Dehors, des brahmanes en toge orange regardent des techniciens installer une rampe à travelling et régler leurs caméras : visiblement, on va filmer un documentaire. Il y a toute une foule, et des éventaires de fruits…



Un peu plus loin, des vieilles nous engagent à nous faire prendre en photo avec leur lapin angora ; un yak molasson attend des enfants à transporter, et d’autres gamins jouent au bord d’un arbre consacré (très japonais…) avec les tridents en ferraille rouillée déposés à son pied (marques de Shiva, il me semble)…



Au retour, le bus nous arrête devant le monastère bouddhiste de Kaïs, très imposant. On admire les sculptures dorées réalisées par notre ami de Dolanji, ainsi que le temple principal, qui contient un énorme trône en bois sculpté et doré recouvert d’une bâche en plastique et orné du portrait du Dalaï Lama, qui est passé là l’année dernière. Je crois qu’il y a plus de 400 moines dans ce monastère, dont de nombreux gamins…



Le temps hésite entre pluie et soleil…on rentre à pied vers Kullu, à 7km environ. La nuit tombe, la route est déserte, mais un auto-rikshaw à plateforme finit par nous prendre en stop…Un agriculteur monte ensuite avec son rejeton et des bidons de lait qu’on l’aide à charger. On nous largue à l’entrée de Kullu, je donne une trentaine de roupies au chauffeur.



Il fait complètement nuit maintenant, l’heure de trafic est passée sur la route du village : pas un 4x4 ne monte, rien. Il faut faire à pieds les 10km en lacets, et on commence à en avoir gros sur la patate… A 3km de l’arrivée, un pick-up finit par passer et nous charge sur 2km…On arrive fourbus.

 
 

Le lendemain matin, Tempa repart pour le monastère, où on le rejoindra d’ici quelques jours.

Après son départ de la gare de Kullu, nous sommes allés chez la sœur de Pawan pour saluer Wyan, son père (Wyan-ji dirait-on en hindi : on utilise ce suffixe honorifique accolé aux noms, d’ailleurs le plus souvent remplacés par le lien familial, ou équivalent – je fus ainsi vite rebaptisé « baï-ji » - frère – et mon amie « babi-ji » - sœur –). On fait le salut indien destiné à honorer une personne respectée : se baisser pour toucher de la main le pied de la personne, puis porter la main à son cœur. Wyan lui aussi parle bien anglais, mais semble plus strict et moins fantaisiste que son rejeton… Nous restons quelques instants à bavarder, puis partons à la pêche avec un autre membre de la nébuleuse familiale ; sa canne est un bâton équipé d’un fil de pêche à hameçon, sans appât. On pêche dans un torrent qui traverse un petit vallon en amont de la ville, et croisons sur la route un autre pêcheur qui nous montre son butin : une seule et unique truite… Nous aurons encore moins de chance que lui, mais en profiterons pour nous baigner dans une zone de faible courant…l’eau est glacée, et en nageant trop loin, je finis emporté par le courant sur une bonne centaine de mètres…Malgré une désagréable sensation de montagnes russes et quelques contusions, plus de peur que de mal finalement, puisque je m’en sors en profitant d’un coude plus calme pour me retrouver…de l’autre côté du torrent. Le pêcheur croisé plus bas viendra m’aider à retraverser…



La pêche, qui intéresse plutôt mon amie, sera totalement infructueuse, sauf peut être pour notre guide qui sous couvert de lui apprendre la gestuelle en profitera pour la coller d’un peu trop près à son goût… c’est du joli…


Les deux jours qui suivent passeront en ballades dans les environs, notamment sur le versant opposé de la montagne surplombant Kullu.




Enfin, il est temps de repartir pour le sud. De bon matin, on profite d’un pick-up chargé de fruits et légumes qui descend de Bekhli…les jeunes qui montent en cours de route ne se gênent pas pour se servir dans les cageots de pommes, et nous encouragent à faire de même…

Après un détour par le Rungis local où se déchargent les victuailles, nous voilà à nouveau à la gare routière de Kullu… Entre le préposé du guichet, les conducteurs de bus en instance de départ et les passants qui y vont de leur supposition, c’est pas moins de 4 horaires différents qui nous sont indiqués pour le départ de notre bus, la fourchette allant de « dans 2h » à « pas avant 18h »… Une demi-heure plus tard, le bus est là et nous voilà partis pour Chandigarh, 300km au sud. Il faudrait ensuite changer de ligne pour remonter à Solan.

C’est un bus régulier, et le trajet va bien durer 8h… Il faut dire qu’il ne dépasse jamais les 50, s’arrête partout dès que quelqu’un fait signe pour monter ou descendre, et que les routes ne sont pas vraiment dans un état irréprochable… Le mouvement est saccadé, tout vibre et certains cahots vous soulèvent de 50 bons centimètres : il faut avoir l’estomac bien accroché… Ce qui n’empêche d’ailleurs pas les Indiens de lire leur journal ou de roupiller tranquillement, comme si de rien n’était…Sur les longs trajets, les gens partagent la nourriture (à petite échelle, je me rappelle avoir fait ça avec les beedies ou le « kuber », sorte de graines aromatisées à sucer, vendues en sachet, un excellent rafraîchisseur d’haleine), s’entraident bien entendu pour charger ou décharger le matériel lourd…mon père s’est déjà retrouvé, lui, avec un autre genre de « matériel » : un bébé que la mère lui colla prestement dans les bras pour dégager son sein et l’allaiter…
 
La gare de Chandigarh, située en périphérie de la ville, est énorme mais un peu mieux organisée qu’ailleurs : on nous donne assez vite un numéro de quai pour repartir sur Solan. Visiblement, il faut ici s’aligner au guichet et attendre que le receveur (« conductor ») arrive pour acheter son billet (d’habitude, on paie une fois monté)… Mon amie a déjà mis les sacs dans le bus, qui fait mine de partir alors même que j’arrive enfin devant le receveur. Les gens derrière moi me font signe de courir…J’hésite, mais finalement monte dans le bus, pour comprendre quelques minutes plus tard que je me suis fait avoir : il ne démarre pas tant que le fameux « conductor » n’est pas monté, qui demande à voir mon billet…malgré mes explications, il reste inflexible et hurle sans discontinuer « go counter !! go counter !! »…visiblement les seuls mots d’anglais qu’il maîtrise… Il faut donc redescendre avec armes et bagages, pendant que les plaisantins qui m’avaient « enduit d’erreur » s’installent à nos places en gloussant…
 

Heureusement, il y a un bus toutes les demi-heures, et vers 23h, on arrive au monastère…dont toutes les lumières sont éteintes et tous les occupants semblent dormir à poings fermés.

Après quelques tâtonnements, mon portable français se décide à capter un réseau, et nous réveillons Tempa, qui nous conduit à notre chambre : on en finit enfin avec ce voyage, sans conteste le plus pénible du séjour.

DOLANJI

Nous allons rester 4 jours au monastère. Le premier est consacré à la visite des lieux, avec Tempa : il nous conduit d’abord à l’école, au moment où a lieu l’appel du matin, une inspection très militaire des gamins alignés en rangs et en uniforme. On visite ensuite les bâtiments qui les hébergent, gérés par deux associations humanitaires liées au monastère. Il s’agit de dortoirs peu différents, toutes proportions gardées, des internats que j’ai pu voir en France…




On fait une pause dans la boutique située devant l’école, en compagnie d’un écolier retardataire, mort de trouille, qui attend le moment propice pour rejoindre discrètement ses camarades. On achète des bonbons qu’on lui demande de partager avec ses amis, et on en donnera ensuite à ceux qu’on croisera quelques heures plus tard au moment de la pause de midi. On boit du coca en mangeant du « gnafie », sorte de gelée blanche découpée en petits dés et arrosée d’une sauce au piment rouge… la digestion sera difficile.

 

On descend ensuite jusqu’à la rivière qui coule au fond de la vallée pour remonter de l’autre côté vers le monastère des nonnes, qui abrite une quarantaine de pensionnaires de tous âges. Les jeunes nonnes, timides, se cachent dans l’embrasure des portes d’où elles nous dévisagent en riant. On entend le ronronnement majestueux des sutras à l’étage. On visite le petit temple, ou trône une statue de la déesse mère de la religion Bon, puis une jeune nonne plus dégourdie que ses consoeurs, et qui semble visiblement avoir l’habitude des visiteurs, nous sert le thé au beurre (un goût particulier…) et le repas de midi dans une petite salle à manger pour invités très « cosy ». Tempa devise ensuite avec une vieille nonne sans âge et sans dents, qui se décide donc pour un chewing-gum parmi les friandises qu’on lui propose…




Ce petit monastère accompagné d’une résidence est donc réservé aux nonnes, ce qui ne les empêche d’ailleurs pas de fréquenter aussi le monastère principal, où nous retournons en passant par les petits sentiers. Le soir après manger, on discute avec Tempa et d’autres moines de questions de calendrier et d’astronomie… Le calendrier tibétain est lunaire, et compte par ailleurs un jour supplémentaire dans la semaine. Chaque jour est visiblement placé sous la protection d’une divinité qui lui donne son nom, et diverses conditions astrologiques déterminent les bénéfices – ou la malchance – à en attendre… On disserte sur les différences entre calendrier tibétain, japonais et occidental et les dates d’adoption de ce dernier… Sur tous ces sujets, ils me semblent bien plus doctes que moi. J’en profite pour me renseigner un peu sur les enseignements qui leur sont dispensés dans leur cursus scolaire au monastère : on m’explique qu’en plus des cours de théologie, il y a des cours de langue, de mathématiques, de logique, de philosophie, de rhétorique et d’astrologie…Un programme complet et plutôt varié, en fait…


SIMLA

Le lendemain matin, nous avions prévu de louer une voiture pour partir 50km au nord visiter Simla, l’ancienne capitale d’été de l’Empire des Indes. Mais au réveil, il pleut dru, et je suggère à Tempa d’annuler l’excursion... Malheureusement (pour nous), le chauffeur est déjà là avec sa petite berline TATA toute neuve (la marque automobile indienne, qui équipe 99% du parc de camions et un bon paquet d’autos, Japonais et Coréens se partageant le reste du marché). Lui et Tempa, qui a téléphoné à une amie de Simla pour s’enquérir du temps, nous assurent que « la pluie va passer » d’ici une heure ou deux…soit. A peine partis sous une pluie battante, on crève un pneu : « mauvais présage », avance Tempa pour rire…Il ne croit pas si bien dire. Après 2h de route en lacets, on arrive à Simla, ville bâtie en terrasses à flanc de montagne. La pluie redouble d’intensité, c’est un vrai déluge. On traverse rapidement la rue principale de la vieille ville et ses bâtiments coloniaux restaurés ou en voie de l’être, assez jolis il faut bien le dire…mais qui en l’absence de vue sur la vallée, obstruée par le brouillard, constitueront le seul et unique attrait de la visite. On mange dans un restaurant tibétain végétarien où je dois payer pour le chauffeur, et on décide de repartir illico vu les conditions météo. Tempa, désolé, propose de passer par deux endroits « remarquables » situés de toute façon sur la route du retour : l’aire de loisirs montagneuse de Kufri, comportant un zoo et un grand temple hindou, puis un vieil hôtel de luxe de l’époque britannique, hors de prix mais qu’on peut au moins admirer de l’extérieur. Manque de chance, il tombe toujours des cordes, l’aire de Kufri (sorte de Volerie des Aigles pour ceux qui connaissent) me fait l’effet d’un ignoble attrape-gogos où on veut à tout prix nous vendre un pass pour faire le tour à cheval des 9 « zones remarquables » du site, que vu le temps on n’a de toutes manière guère envie d’explorer…On abandonne, et se dirige vers le fameux hôtel, au portail duquel on nous réclame aussi de l’argent simplement pour y monter garer la voiture et le voir… On abandonne, encore, et rentre vers Solan dans une ambiance morose…

 

On passe une petite heure à Solan, où en l’absence de Tempa j’achète des grenades et un concombre pour un prix exorbitant (faute de critère de prix pour la négociation). Le centre-ville est fermé à la circulation en soirée, l’atmosphère est animée et plutôt sympa, mais il est temps d’en finir avec cette journée maudite et de rentrer au monastère.

 
DOLANJI

Le lendemain soir, on doit prendre un « deluxe bus » de Solan et rejoindre Delhi.

Tempa occupé par les grandes prières qui monopolisent toute la communauté pendant 2 jours pleins (prières pour le salut de tous les êtres vivants sur terre, ce qui demande tout de même une sacrée mobilisation), on décide avec mon amie de finir le séjour au monastère par une petite ballade le long du chemin de terre qui s’enfonce au fond de la vallée sur la droite, où un pensionnaire australien m’a assuré qu’on pouvait voir de magnifiques oiseaux et…des iguanes ! Mon père m’avait aussi parlé de ce coin…Tous les témoignages concordent : il fallait que je les voie ! (je suis un grand amateur d’iguanes et autres sauriens). Un moine me prévient que vu le temps, rafraîchi par les pluies de la veille, il y avait peu de chances que les reptiles se montrent (ce que je savais, mais après tout, « le cœur a ses raisons »…).
 

Le chemin est encore détrempé par la pluie, et on s’enfonce généreusement dans la boue…A un embranchement, j’ai du faire le mauvais choix, car nous continuons vers le fond de la vallée sans noter un changement notable dans le paysage…On croise quelques bâtisses, des tentes qui semblent occupées de manière permanente, une équipe de la DDE locale en train de déblayer et de reconstruire la route à la pelleteuse et surtout à la main, quelques oiseaux, des crapauds et des champs de maïs. Pas d’iguanes, c’est vrai, mais de très jolis papillons. Finalement, on arrive au bout de la route, devant une ferme où une vieille fait sécher des graines de grenade pendant que son mari paresse en fumant un beedie. Je ne m’avoue pas vaincu, et décide de poursuivre l’exploration à travers champs sur un petit sentier qui part de chez lui. Je le salue, lui demande si je peux continuer en traversant sa propriété (le tout en hindi pidgin bien sûr)…il me répond en souriant largement avec un discours animé et interminable, auquel je ne comprends goutte. J’imagine après coup que la teneur devait être assez proche de « vous pouvez y aller mais il n y a RIEN de chez RIEN ! »…ou quelque chose comme ça. Enfin, c’est ce que je me suis dit après deux heures à tourner en rond dans les champs…

 

Au retour, on emprunte l’autre embranchement pour se retrouver dans une petite cuvette ombragée, avec un ruisseau et des rochers…bon sang mais c’est bien sûr : les iguanes ! C’est là qu’ils sont ! Mais en fait d’iguanes, on ne croisera qu’un gros crapaud, qui me rit au nez au passage. La zone compte de nombreux grenadiers (enfin, les arbres à grenades) aux fruits mûrs mais trop amers. On s’en retourne donc bredouille.



Après avoir retrouvé Tempa et visité le grand temple, il est temps d’aller faire nos adieux au Rimpoche, qui nous noue une seconde cordelette rouge et nous bénit deux nouvelles écharpes fournies par Tempa, les autres ayant été perdues dans le nord… Il a trouvé l’adresse du représentant tokyoïte de Sa Sainteté, et me rend aussi le dossier de présentation du documentaire que ma sœur projetait, que mon père lui avait prêté.



Je lis à Tempa les extraits qui le concernent : « un moine de 17 ans quand je l’ai rencontré, toujours souriant qui baragouine quelques mots d’anglais ; maintenant il travaille aux étables et à la cuisine du monastère, où il ne s’en sort pas trop mal d’après ses supérieurs ; il envoie toujours les mêmes emails à mon père parce qu’il a la flemme d’écrire en anglais », etc…

Le dossier, que je n’avais encore jamais lu, contient les impressions de ma sœur sur son voyage, la région, les gens qu’elle avait rencontré. Je venais de faire le même voyage, et je retrouvais, comme un écho, les mêmes souvenirs…
 

La nuit venue, on attend le bus à la gare de Solan…Des chiens errants se battent à côté de nous ; j’achète de l’eau et des fruits pour le voyage, au tarif régulier cette fois, puisque Tempa m’accompagne. On croise l’orfèvre du monastère : je lui montre les photos de ses œuvres prises au monastère de Kaïs… Le bus ne vient pas, même si Tempa m’avait assuré qu’il y en avait « un toutes les heures jusqu’à minuit, soit un Deluxe soit un Volvo » (le Volvo semblant être le niveau ultime du car de luxe). Effectivement, après une demi-heure d’attente, le bus arrive : ce n’est pas un Volvo mais il est climatisé, avec de confortables sièges inclinables, et même la tv. Comme d’habitude, le conductor est pressé et irascible (c’est son boulot) : j’ai juste le temps de dire au revoir à Tempa et de me précipiter à l’intérieur, et le bus démarre en trombe…

 

J’ai laissé à Tempa un petit mot contenant mes coordonnées et 1000 roupies, que je pensais qu’il utiliserait pour se payer l’abonnement de téléphone mobile « à vie » dont il me vantait les mérites (« pour 700 roupies payées une fois, vous gardez votre numéro et on peut vous appeler toute la vie »…waw !)… Au moment où j’écris, il vient de m’envoyer un email où il m’explique qu’il a utilisé ces 1000 roupies pour rembourser un ami… Il faut dire que contrairement à d’autres moines, Tempa n’est pas soutenu financièrement par sa famille, et qu’il ne travaille pas (mon père lui suggère de vendre ses dessins aux touristes de passage plutôt que de s’endetter un peu partout et d’attendre qu’il arrive pour régler l’ardoise…).

Or au monastère, en dehors du logement, seuls les repas du matin et de midi sont fournis, les moines doivent donc se débrouiller pour le soir et pour leurs autres dépenses, ce qui les oblige à se bouger un minimum.

Bercés par le roulis du bus, on sombre vite dans un agréable sommeil…pour être réveillés en sursaut 7 heures plus tard par le conductor qui nous demande de descendre illico… Un peu interloqués, on s’exécute. En bas, un porteur a déjà sorti nos sacs et me rackette de 20 roupies…je me demande ce qui se passe. « Majnu Katilla ! Majnu Katilla ! », me hurle le receveur…Enfin, je fais surface : un bonze m’appelle de l’autre côté de la rue…lui aussi vient de Dolanji : on est arrivés à la colonie tibétaine (« Majnu Katilla » étant le nom du quartier, mais je l’avais complètement oublié), devant laquelle le conducteur a eu l’amabilité de nous lâcher, ce qui nous évite de prendre un rikshaw en sens inverse depuis la gare routière.

On a donc fait en 7 heures le trajet qui en avait pris 10 à l’aller : merci le « Deluxe » !
…Mais à la guesthouse, malgré ma réservation, pas de chambre libre…pour le moment. Il faut attendre 8 heures, que les occupants s’en aillent. On termine donc la nuit sur le canapé.
 

DELHI

En début d’après-midi, on émerge et décide d’aller visiter le centre-ville. D’abord, il faut manger. Le resto de l’hôtel est bondé, mais ça ne nous dit rien : maintenant qu’on est habitués, autant manger dehors ! Devant l’autoroute, les échoppes sont alignées par dizaines ; il n’y a que l’embarras du choix (sauf pour le menu : toujours du Dahl, parfois du chômin – nouilles sautées – et du poulet tandoori). On commande un chômin chez Soepa, un jeune tibétain bien sympathique, qui parle un anglais correct (quand on lui demande où il a appris, il répond « la connaissance du ventre »)… Il nous fait asseoir à l’intérieur, à l’ombre. Une gamine de 13-14 ans nous sert ; c’est l’une des 2 employées de la maison, mais on verra bien d’autres têtes se succéder derrière les fourneaux : tous les amis du gérant, en fait…



On discute de tout et de rien : du nouveau plan d’aménagement de la ville, contre lequel se battent les classes populaires, et qui va entre autres déplacer toute la colonie tibétaine dans un coin encore moins salubre pour bâtir des lotissements grand standing et des hôtels…
Des singes qui pullulent et qui sont visiblement une véritable menace : ils portent des germes, agressent les gens et parfois même volent des nourrissons au berceau…

Des étrangers aussi : on n’en voit pas un seul dans la rue, aucun attablé à l’un des restaurants du coin. Il n’en vient jamais, me confirme Soepa : ils ont peur, et préfèrent manger sagement au resto de leurs hôtels… Mauvais calcul : c’est souvent bien meilleur dans les échoppes de quartier (sauf quand on tombe vraiment mal, ce qui est plutôt rare), évidemment bien moins cher, et tellement plus sympa…

On prend ensuite le métro pour se rendre au centre. Surprise : il est ultra moderne. Achevé l’année dernière, il n’a rien à envier au métro de Paris, Londres ou Tôkyô, bien au contraire.
Evidemment, pour l’instant il n’y a que deux lignes, mais c’est un début…
Le poinçonnage se fait par jetons magnétiques, et le billet coûte 12 roupies en moyenne.
A l’entrée, on passe un portique de sécurité et est fouillé par des soldats de l’armée, à cause des attentats évidemment. Parmi les passagers, il y a beaucoup de jeunes, et la moyenne des usagers semble issue de milieux assez aisés…
 

On débouche sur la Connaught Place, sorte d’énorme rond point au centre de New Delhi, autour duquel s’articulent les quartiers d’affaires, bâtiments institutionnels et ambassades.

 

On entre immédiatement dans un gigantesque bazar souterrain, le Palika Bazar, qui compte plus de 400 boutiques. Textiles, orfèvrerie et hi-fi sont les marchandises principales. Evidemment, en tant qu’étrangers, on est pris à partie tous les deux mètres et il faut un moment pour s’habituer à cette « pression » et s’en affranchir. Je cherche quelques films indiens : un barbu s’empare de mon papier et envoie des acolytes aux 4 coins du bazar récupérer tout ce qu’il me faut. Il me propose aussi une autre version des dvd « identique mais moins chère » dont je vous laisse deviner la teneur…

A la sortie, un jeune nous aborde en anglais… Il baragouine aussi quelques mots de français et même de japonais, et se présente comme un « étudiant qui veut pratiquer les langues »…Il nous accompagne un bout de chemin en nous orientant vers quelques magasins plutôt trop luxueux… Assez vite, on en a assez et retourne vers le centre…Il nous demande alors si on souhaite faire une visite touristique de Delhi, ce qui intéresse fortement mon amie qui doit partir le lendemain, et nous guide vers l’office public de tourisme de Delhi, où un jeune cadre dynamique sympathique mais un rien blasé nous vend pour le lendemain une visite avec voiture et chauffeur des lieux touristiques essentiels de Delhi. L’homme semble avoir pas mal voyagé et vécu entre autres au Japon, et me glisse quelques commentaires bien sentis sur les Japonaises, dont il semble allez savoir comment avoir parfaitement cerné les traits psychologiques…il est grand temps de s’en aller : le chauffeur passera nous prendre le lendemain matin à l’hôtel.

Je remercie notre jeune guide et lui glisse un petit billet…il y a une chose que je n’avais pas encore comprise à ce moment...
 

De retour sur la place, je vais pour rentrer mais mon amie souhaite faire un tour dans les emporiums, ces fameux magasins d’Etat où on vend à prix fixes…On demande le chemin à un autre « jeune étudiant » ; erreur fatale : il nous conduit dans ces fameux magasins, fort beaux au demeurant mais clairement orientés « touristes » et donc extrêmement chers, où on est accueilli avec le thé et traîné de comptoir en comptoir où on nous propose écharpes, vêtements, tapis, bibelots et autres monographies sur papyrus… On s’en sort tant bien que mal avec quelques menus achats…On a déjà fait le gros de nos courses à Kullu, et je n’ai plus l’intention d’acheter quoi que ce soit, ces séances de courbettes et de poker menteur me sont donc extrêmement pénibles… Après 2 ou 3 magasins – dont certains que nous avions déjà visités avec notre « guide » précédent –, la nuit tombe et on décide de couper court à ce fastidieux bal des vampires… Notre jeune « ami » nous raccompagne, de guerre lasse, vers le centre.


Un peu mou sur le moment, je ne comprendrai qu’après coup que ces jeunes « étudiants » (qui pour la plupart en sont d’ailleurs vraiment) jouent le rôle de rabatteurs pour tous ces magasins, auprès desquels ils touchent des commissions proportionnelles à la valeur des achats effectués…
 
Les marchands de ces grands et luxueux magasins m’ont plus fatigué que toutes les petites arnaques expérimentées au cours du séjour : autant je n’étais pas excessivement gêné de payer le double ou le triple du prix chez les petits commerçants et autres conducteurs de rikshaws dont on sentait bien qu’ils ne roulaient pas sur l’or, autant subir la faconde des bonimenteurs de ces grands magasins, qui vendent à des prix exorbitants les mêmes marchandises par cars entiers de touristes m’a profondément tapé sur le système…
 


Le lendemain a l’heure prévue, le chauffeur est là. On visite un certain nombre de palais Mughals (dynastie mogole, issue d’Afghanistan et de confession musulmane, qui régna sur l’Inde aux 16e et 17e siècles). L’un d’entre eux, la tombe d’Humayun, a servi de modèle au célèbre Taj Mahal d’Agra. Comme d’habitude, les frais d’entrée pour les étrangers sont 20 fois supérieurs au tarif indien, mais c’est de bonne guerre…




On poursuit ensuite avec le complexe Kuttub Minar, qui rassemble les vestiges de la première mosquée de Delhi (13e siècle si je ne m’abuse), aux magnifiques colonnes asymétriques, et une gigantesque tour construite un peu plus tard par un souverain Mughal. Plus loin, les vestiges d’une autre tour que son successeur projetait visiblement de construire en deux fois plus haute et large, mais qui s’est arrêtée à sa mort, au premier étage : vanité des vanités, etc.





Vers midi, selon notre chauffeur, il fait trop chaud et il est temps de faire une pause…pour ce faire, quoi de mieux que des…boutiques ??? Horreur : l’homme nous conduit à nouveau dans l’un de ces coûteux centres commerciaux pour touristes… Un vieux barbu use de tous les outils dialectiques possibles pour me vendre un tapis : je comprends enfin le sens de l’expression…Mon amie est piégée à l’étage supérieur par un onctueux marchand de bijoux…Il nous faudra une bonne heure pour nous extirper du traquenard…

Je promets au chauffeur un pourboire de 100 roupies s’il ne nous conduit plus à AUCUN magasin, ce qui le plonge subitement dans un mutisme taciturne de fort mauvais aloi. Un peu plus loin, il me livre le fonds de sa pensée : il reste UN magasin où il me supplie de passer ; toujours ces histoires de commission…
Toujours le même genre de magasin, mais en jouant au Français snob qui prétend ne pas comprendre l’anglais, je parviens à passer entre les gouttes puis à marchander un pyjama pour un prix raisonnable (sans doute « seulement » le double de ce que j’aurais payé au marché…)

La tournée se poursuit ensuite sans encombres : on visite un célèbre sanctuaire musulman où est révéré un illustre patriarche (dont les descendants, assis au bord de la bâtisse, me réclament une offrande : ils sont même prêts à me faire de la monnaie…)…l’atmosphère est très colorée, dévote et animée à la fois ; pour accéder au sanctuaire, on passe par une petite galerie marchande dans laquelle on peut acheter des pétales de fleur pour les offrandes, des films, de la musique ou de la littérature islamisante…




A la sortie, on avale des brochettes à la composition indéfinissable confectionnées par un gamin d’une douzaine d’années… plus loin, un gosse nu comme un ver nous réclame de l’argent. Mon amie lui donne plutôt des bonbons, mais le gosse a remarqué qu’il lui en reste encore un plein sachet : il nous suivra pendant un bon quart d’heure…

 

On déguste ensuite un excellent milk shake à la mangue au bord de la route avant de continuer. L’étape suivante est un énième temple Mughal (tous des tombeaux en fait), mais dans le jardin, on peut voir une multitude de jeunes couples tendrement enlacés… les premiers et les derniers qu’on verra au cours du séjour, et pour cause, comme nous l’expliquera le chauffeur : ce genre d’attitude est réprimé par la loi et passible d’amende ; mais la police n’entre pas dans ces jardins, ce qui en fait des sortes de havres pour les amoureux…




On passe ensuite devant l’arc de triomphe réglementaire (commémore les victimes militaires de la première guerre mondiale), un énorme temple ultramoderne en forme de lotus construit il y a une vingtaine d’années par une secte hindouiste on ne peut plus prospère, et il est temps de rentrer…Dans la soirée, on retourne manger chez notre cuistot attitré, puis mon amie prend son taxi pour l’aéroport, direction le Japon...

 
 

Il me reste une journée, que j’emploierai à compléter ma collection de films « en version identique et moins chère » et à traîner dans le quartier tibétain, coincé entre l’autoroute et la rivière… Je passe les dernières heures chez Soepa à discuter avec l’un de ses amis cuistot dans de grands hôtels, et vois successivement un jeune se faire percer l’oreille de manière assez rudimentaire par un spécialiste ambulant, puis un autre se les faire nettoyer par un spécialiste d’un autre genre, qui se ballade avec son attirail de bâtonnets et de cotons…



Le soir, j’écoute une dernière fois le concert des klaxons et des aboiements, je regarde une dernière fois le ballet des rikshaws et des passants, puis il est temps de rentrer : le taxi va partir. On passe devant la grande affiche qui dénonce l’enlèvement par les Chinois du Panchen Lama (le successeur du Dalaï Lama) et de sa famille : à l’âge de 6 ans, rappelle l’affiche, c’est le plus jeune prisonnier politique du monde…

Je me souviens qu’à l’hôtel, une affiche engageait aussi à boycotter les jeux de Pékin au nom des exactions commises au Tibet : « la médaille d’or pour laquelle vous courez a été fondue avec le métal miné illégalement au Tibet ; les barrières sur lesquelles vous sautez sont faites de bois issu de la déforestation sauvage du Tibet, aujourd’hui dépotoir public pour tous les déchets toxiques chinois, et où ont péri en 40 ans plus d’un million de personnes… » Etc, etc.
 

Le trajet retour vers l’aéroport est moins impressionnant qu’à l’aller…je suis sans doute vacciné…

L’aéroport est bondé…dans la salle d’attente, un hindou globe-trotter me raconte ses voyages en zozotant…Il me parle de cricket, le sport national, mais je n’y comprends rien (si ce n’est que les Anglais, qui ont introduit ce sport, se font désormais battre par toutes leurs anciennes colonies, ce qui ne manque pas de sel). Il se rabat sur le football : ahh, Zidane et son coup de tête... J’avais déjà eu cette discussion avec les moines, qui à ma grande surprise avaient vu tous les matches sans exception. Le coup de tête alors ? Une grave erreur selon eux : songez à son karma…


FIN...

 

Me revoilà en France, ou plutôt au Japon, et je termine ce texte en essayant de rassembler mes impressions sur l’Inde, en espérant ne pas vous avoir trop ennuyés. J’ai écrit ce texte pour le plaisir de me remémorer ce voyage, et aussi pour essayer de partager mes sensations. Comme vous avez dû le constater, ce n’était pas vraiment un voyage purement « touristique », et peut être les sensations que j’en ai tiré sont elles assez différentes de celles des autres voyageurs que j’ai pu croiser…
Du coup, ce texte est sans doute assez différent d'un compte rendu de voyage touristique "classique", et j'espère ne pas vous avoir déçus (surtout si vous avez pris la peine de lire jusqu'ici!!)

 

En tous les cas, je suis bien forcé d’avouer que le cliché du « voyage dont on ne sort pas indifférent », appliqué à l’Inde, est incroyablement valable…

Evidemment, les circonstances entourant ce voyage ont sans doute contribué aux émotions très fortes que j’ai pu y ressentir, mais il n’y a pas que ça…
Dans ce pays pauvre où les gens vivent avec pas grand-chose, et heureusement pas grand-chose en trop à avoir en tête non plus, on se déleste pour un temps du superflu, de choses qui nous semblaient, encore jusqu’à la veille du départ, indispensables, et on prend, qu’on le veuille ou non, un bon bain d’humanité…
En dehors de Delhi où la vie semble très dure et désespérante (évidemment, on ne parle pas des beaux quartiers, qu’on a pas visités), que ce soit dans les montagnes, dans les villages ou dans les monastères qu’on a pu voir, les gens, qui vivent parfois dans des conditions terriblement précaires, semblaient heureux…
 

L’Inde est un pays largement en retard sur le plan social, mais en pleine expansion sur le plan économique : une classe moyenne émerge, et les gens ont comme chez nous la soif de « consommer » ; c’est un mirage de croire qu’ils se satisferaient de leurs valeurs « spirituelles » et souhaiteraient vivre d’amour et d’eau fraîche…et pourtant !

Et pourtant, on ne peut pas s’empêcher de penser : quand ils auront tout le matériel inutile qu’on possède déjà et que toute notre société travaille à ériger en mesure suprême, seront-ils vraiment plus heureux ? J’en doute. Conserveront-ils ce qui fait la richesse suprême de leur civilisation : cette chaleur, cette communication permanente ? J’en doute.
Ils finiront eux aussi par ne plus ressentir cette chape de plomb qui s’est abattue sur moi dès ma descente de l’avion en France, par trouver normal ce silence de mort partout, cette glaciation des âmes, paranoïa normalisée qui voit dans tout Autre un agresseur potentiel…
 

Evidemment, on n’en est plus à regretter le mythe du bon sauvage et à prier pour que cette société ne bouge jamais pour notre bon plaisir de touriste étranger en quête des « vraies valeurs » : il y a en Inde d’énormes problèmes, et des progrès énormes seront nécessaires, et sont sur certains points en cours, pour s’en débarrasser…

Tout ce qu’on peut espérer, c’est que pour ce faire, ils ne s’attachent pas à notre définition du « Progrès »…
 


 

Enfin, ce laïus est sans intérêt…Simplement, je ne sais pas comment faire comprendre cette impression de « communication permanente » tellement agréable (et parfois un peu fatigante) qu’on ressent – et qui tranche totalement avec des pays comme la France ou le Japon –, en plus évidemment de ce « bordel ambiant » qui caractérise l’Inde…

 

Il est évident que le pays n’est pas fait pour tout le monde, comme vous le confirmeront les nombreux touristes qui auront passé leur temps à compter les jours sur le calendrier de l’hôtel ou ils seront restés terrés… Il est probable aussi que 90% des Japonais s’écrouleraient sur place comme frappés par la foudre au moment de toucher le sol indien, mais c’est une autre histoire…

 

En tous cas, si vous voulez changer d’air et que vous n’avez pas peur de la crasse, des odeurs, des épices, des trajets interminables en bus bondés et inconfortables, des animaux et insectes exotiques en liberté (jusque dans votre lit)  et surtout de la parole et du regard de l’autre, alors ça vaut la peine de tenter le coup…


Parce que fondamentalement, « India is good for you »

 







...A Ninon et Patrice

Ecrit par antonz, le Vendredi 13 Octobre 2006, 07:35 dans la rubrique "archives".

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Commentaires

merci de l'avoir écrit

ozu3468

14-10-06 à 17:13

Je suis enfin arrivée à m'inscrire pour pouvoir répondre à tes articles, enfin je crois. Faut dire que je suis plutôt nulle question blog.

C'est la première fois que j'écris sur ton blog, alors c'est pour te dire : continue à écrire !! Ton texte est très émouvant et il est très bien écrit.

Pour les films, j'en ai déjà vu quelques-uns mais pas tous, surtout les coréens. Je lirai petit à petit tes articles.

J'ai voulu m'inscrire sous mon vrai prénom mais il était déjà utilisé par quelqu'un alors j'ai mis Ozu...

Bon séjour au Japon. Amitiés. Virginie


Stéphane

16-10-06 à 11:17

"India is good for you"
Effectivement, je suis pas trop voyageur, mais j'ai du mal à concevoir un séjour dans ce pays pour rester cloitrer dans un hotel pour touriste fortuné...

Qui sais, un jour sera tu peut être mon guide dans cette "incredible India" ! ;-)


really good for me

Meaty

16-10-06 à 22:48

J’ai suivi ton itinéraire avec beaucoup d’intérêt.

Une partie de mes racines est indienne : Pondichéry et Calcutta. Pas vraiment la région que tu as visitée me diras tu.  De très lointaines origines me lient à l’Inde puisque les premiers débarquements des indiens en Guadeloupe ont débuté il y a 152 ans.

Bien sur il y a eu acculturation ms certaines pratiques et certains plats ont survécu. Si tu le désires je t’enverrai un devoir que j’ai rendu en socio a ce sujet.

Tout comme le Japon, l’Inde fait parti de ma liste des pays a découvrir.

Noram.


Un voyage qui fait envie

Nicolas

23-10-06 à 09:33

Hello,

j'ai enfin réussi à finir ce pavé comme toi seul sait les rédiger et je te remercie pour ce compte-rendu fouillé et trés détaillé.

Plutôt que de commenter un pays que je ne connais pas et que je ne peux qu'appréhender ici, je t'avoue que tu as réussi à me convaincre des bienfaits d'un tel voyage, et que j'espére découvrir après avoir rendu visite à ma future belle-famille en Azerbaidjan (mh cette expérience mériterait elle aussi un compte-rendu, même si cela sera sans doute un peu moins pittoresque).

Espérons qu'on pourra y aller ensemble un de ces jours, j'aime bien le dénuement et les situations improvisés :)

Nicolas

P.S. : Profite de ce blog pour raconter tes expériences cocasses au Japon, le précédent voyage était déjà très gai, je me souviens notamment d'un certain "parasite"...


Anonyme

25-11-06 à 21:19

Lille dans le Nord et l Inde ....Forcément j 'ai trouvé et lu avec un grand intérêt le récit de votre voyage.....Félicitations    PASSIONNANT.Merci mille fois .


Re:

antonz

05-08-07 à 19:56

Merci à tous...

Ce qui me rappelle que j'ai oublié d'évoquer l'intéressante expérience du dentiste en Inde...

...et que je suis tombé sur un magnifique récit de voyage en Asie à vélo:

http://biketrip.aliceblogs.fr/blog

(ca commence en Russie)


MERCI

KUCHARSKI

08-04-08 à 13:17

Bonjour Antonin,

C'est ton oncle Jean Pierre qui m'a parlé de ton blog et je lui en suis reconnaissante.
Merci pour ce beau voyage virtuel que je vais m'empresser de faire découvrir à un max de monde.
J'y ai retrouvé ton papa que je ne connaissais pas sous cet angle, l'ayant cotoyé pendant qu'il luttait contre ses démons, je suis rassurée de le voir si heureux lorsqu'il est en Inde.
Si tu passe par Wittelsheim n'hésite pas à venir nous voir.

Amitiés Catherine et Bernard K.