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Les nostalgies de la pop-culture japonaise: MIYAZAKI Hayao

--> Critique de livre





(note: Ce texte est une réaction au mémoire (et donc au livre ) de Gersende Bollut sur Miyazaki Hayao. Les numéros de page renvoient à la version numérisée de son mémoire de maîtrise)



Avant tout, reprenons le petit article d'Azuma Hiroki sur Neon Genesis Evangelion et le "reniement" des otakus.


Ce n'est pas vraiment Evangelion qui nous intéresse ici mais les propos d'Azuma sur les "animateurs artistes" tels Miyazaki Hayao et Oshii Mamoru.

Selon lui, ces animateurs nés durant la guerre (Miyazaki, 1941) ou issus de la génération du baby boom (Oshii, 1951) surfent sur la vague otaku s'élevant dans les années 70 pour la quitter alors qu'elle atteint son apogée à la fin des années 80 (et sa "crise" avec l'affaire Miyazaki Tsutomu), dans un processus assez long durant pour chacun près d'une dizaine d'années (de Conan -1978 à Totoro -1988 pour l'un, de Beautiful Dreamer -1984 à Patlabor 2 - 1993 pour l'autre).

(Pour la petite histoire, Azuma oppose à ce long processus de "reniement" - discutable par ailleurs, Anno qui fait le parcours complet en l'espace de quelques mois et d'une série avec Evangelion).

En effet, de Conan à Laputa en passant par Nausica et Cagliostro, Miyazaki ne se prive pas d'inclure dans ses oeuvres les "canons" de l'expression otaku et de ses "éléments d'attraction" ("moé") vecteurs de fantasmes: armement, robots, jeunes filles, etc.

Fin des années 80, il "renie" ces modes d'expression et passe à une phase plus "pastorale" de son oeuvre (Totoro, Kiki) qu'il tentera de rééquilibrer avec Mononoke en 1997 (qui sort en salles une semaine avant The End of Evangelion et deux après l'arrestation du jeune tueur en série de Kobe, mais je n'ai pas le temps de développer ce sujet).

Débarassé (du moins en partie) de leur attirail "otakisant" depuis Totoro, les oeuvres de Miyazaki drainent dès lors un public très large dans les salles japonaises, la sortie de Mononoke étant d'ailleurs l'occasion d'un "concours d'entrées" aux relents nationalistes puisque le film parvient à faire jeu égal avec le mastodonte écrasant le box-office mondial cette année, Titanic.

Les succès de Totoro, Kiki puis de Mononoke et Chihiro fixent définitivement l'appréciation thématique des films de Miyazaki au Japon puis en Occident: jeunesse, nature, humanisme, richesse de l'univers fantastique, refus du manichéisme.

Chacun de ces points est abordé dans le mémoire de maitrise de Gersende et, j'imagine, son livre.

Je souhaite ici remettre en cause deux de ces lieux communs, rarement critiqués en Occident et à fortiori au Japon (même si en cherchant bien, on y trouve quelques téméraires): leur prétendue portée écologiste ainsi que leur humanisme.




ECOLOGIE ET HUMANISME CHEZ MIYAZAKI

D'abord, Gersende rappelle (trop) brièvement les engagement marxistes de Miyazaki, communs à de très nombreux jeunes de sa génération (il a 19 ans au moment des grandes luttes contre le Traité de Sécurité Nippo-Américain de 1960, est ensuite pour un temps activiste syndicaliste dans les studios d'animation pour lesquels il travaille).


Comme pour la majorité de jeunes de cette génération, l'épilogue tragique des luttes étudiantes de 1970 à 1972 (répression, luttes internes, dérive terroriste) le détourne de l'engagement politique.

Les valeurs du Japon d'avant-guerre décrédibilisées avec la défaite, celles sensées les remplacer dans l'après guerre désavouées les unes après les autres (le marxisme avec le retournement de 1956 et les atermoiements du PCJ, le pacifisme avec l'échec des luttes de 1960 et la dérive violente de celles de 1970), il ne reste pas grand chose à quoi se raccrocher et le Japon des années 70 se tourne vers des revendications plus communautaristes et dépolitisées: lutte contre les discriminations, féminisme, défense de l'environnement (c'est le début des grands procès sur les maladies issues de la pollution industrielle telles Minamata)


Cette recherche de nouvelles "valeurs-refuges" est sensible dans les déclarations de Miyazaki reprises par Gersende.
Ainsi (p16 et suivantes. C'est moi qui "souligne" en italique):

Citation:


"Lorsque je suis arrivé à la trentaine [nda:en 1971 donc], j’ai commencé à trouver la nouvelle feuillaison des ormes extrêmement belle. À cette époque, je me suis mis à m’intéresser aux plantes. "


"J’ai réalisé que j’aime les plantes auxquelles je suis habitué. Lors de mon premier voyage à l’étranger, en Suède, j’ai trouvé les arbres beaux mais monotones. Un jour, [...] je me suis retrouvé dans le parc de Shakujii-Koen, au nord de Tokyo (…). J'ai trouvé ce parc splendide. Si le Japon s’est dégradé, c’est en raison de l’augmentation de sa population. Je ne comprenais pas comment il était possible de dormir au creux d’un arbre comme dans les vieux contes de GRIMM car, au Japon, il y aurait eu des insectes partout. Pour moi, les insectes, les arbres, les plantes, c'est tout cela la nature. Quand je l’ai compris, je me suis dit que j’étais vraiment Japonais "

"Je pensais que nous autres, Japonais, étions coincés dans notre archipel et n’avions que notre petite histoire minable limitée par le Dit du Genji ou Hideyoshi TOYOTOMI, alors qu’en fait nous sommes liés au Grand Monde qui se trouve au-delà de nos frontières. J’étais très content de l’apprendre."


...En somme, voilà le Japon "réhabilité" par sa nature qui vient à point sauver Miyazaki grandi dans une période qui voit s'écrouler les valeurs les unes après les autres, pour ne conserver que l'image dégradée d'un petit pays vaincu et honteux.

Cette Nature mythique devient donc le "pays natal" nostalgique d'où les Japonais sont exilés par la modernité, pour laquelle l'oeuvre miyazakienne se montrera peu charitable. Cette nostalgie de la Nature est rejointe par celle de l'enfance, état originel (et irresponsable) non encore "souillé" (et vierge des fautes des parents, motif constant dans la popculture japonaise d'après guerre) et dès lors en phase avec cette Nature mythique qui s'accordera très vite aux motifs du shintô permettant l'irruption d'un fantastique familier du public japonais.

L'enfant est donc celui qui perçoit la nature dans sa dimension magique, il est essentiellement innocent, avant d'être corrompu par l'âge (le rite de passage de Kiki qui en grandissant ne peut plus parler à son chat et perd peu à peu ses pouvoirs) et les adultes.

Or, pour désirable et belle que soit cette description de la nature, elle n'est jamais que l'expression d'une nostalgie, dégagée de toute prise directe sur le réel et la possibilité de le changer (rejoignant ainsi le motif du fantastique).

C'est une nostalgie complaisante qui permet aux Japonais de continuer à croire qu'ils vivent toujours dans la nature sans pour autant les inciter à faire quoi que ce soit dans ce sens (la Nature divinisée leur étant de toute façon supérieure: elle pourvoira à ses besoins et en dernier recours se "soulèvera" contre l'incurie des hommes, qui de toute manière n'ont pas vraiment prise sur elle).

L'oeuvre miyazakienne semble donc bien peu écologiste, et encore moins humaniste, dans la mesure où elle véhicule une vision essentialiste de la nature et de l'homme. Tout est déjà écrit: l'homme ne fait rien, ne peut rien, tout juste l'enfant (s'il est élu) a-t-il la chance de pouvoir toucher encore au mythe avant de rejoindre l' "exil" de l'âge adulte.

A de très rares exceptions près, seuls ceux qui sont nés dans cette nature idyllique sont les élus pouvant vivre en harmonie avec elle: les autres sont voués au malheur, à l'exploitation et à la corruption (Laputa, Mononoke).

Totoro par exemple renvoie une image flatteuse aux Japonais (perpétuant ce mythe de l'agriculture japonaise comme "source authentique de la nation", vivant sous perfusion et grâce à d'énormes subventions depuis 1945 mais portée à bout de bras pour l'image nostalgique de la Campagne comme terre natale perdue qu'elle renvoie aux citadins exilés constituant le gros de la population), mais ne les encourage à rien, la Toute puissante Terra Mater étant montrée comme bien supérieure à eux (au pire, elle punira les Hommes présomptueux d'un Déluge salvateur: cf Mononoke, Ponyo).

Cette vision fataliste d'un homme « inclus dans la nature » (et non au dessus d’elle car d'ascendance divine comme en Occident), et donc irresponsable d'un phénomène dont il n'est que partie, est effectivement spécifiquement japonaise. Elle a contribué au cercle vicieux ayant conduit le pays a détruire son environnement naturel en quelques dizaines d'années avec un zèle jamais vu ailleurs.
(Il est à noter, puisque Gersende parle des "tendances écologistes nipponnes actuellement en vigueur" (p16), que ces "tendances" et les éventuels "mouvements" afférents y sont moribonds, quand ils ne l'ont pas toujours été. Le Japon est un pays où la place de l'homme comme dans une nature qui le dépasse y compris dans sa violence, intégrée dans l'inconscient collectif, a justement eu l'effet néfaste de générer une absence totale de sentiment de responsabilité à son égard au moment de l'entrée dans l'ère industrielle. Les exemples sont innombrables, mais viennent à l'esprit la colonisation du Hokkaidô, l'utilisation d'îles entières comme décharges à ciel ouvert à partir des années 50 où l'utilisation généralisée des climatiseurs en toute saison et toute occasion dans toutes les demeures japonaises, etc.)




Que faire alors?
Il ne reste qu’à fuir ce réel sur lequel on n’a pas prise et à rêver à l'évasion dans un Fantastique seul à même de Réformer le monde.

Le « réalisme » miyazakien est donc partie du problème par rapport à un merveilleux disneyien : le Fantastique y envahit le réel, phénomène typique de la pop culture et de la société japonaise des années 80.
Chez Miyazaki, ce qui chez d'autres prend la forme d'une Histoire japonaise révisée et enfin gratifiante et palpitante ou d'un Dieu de science-fiction fait d'un improbable syncrétisme (cf Aum) venant conclure cette échappée belle de la fiction de triste manière (en mars 1995, et c'est le sujet d'Evangelion) prend la forme d'une nostalgie de la Nature assimilée au fantastique (les deux motifs sont interchangeables, cf Chihiro ou Le château ambulant, oeuvres limites en la matière)


De beaux contes poétiques, oui, non manichéens, certes (contrairement à ce que laisse entendre ce texte, je suis tout à fait à même de les apprécier pour tels). Mais écologistes et humanistes, voire.


Ainsi, il convient de grandement relativiser les envolées lyriques enthousiastes de la critique française à l'égard de Miyazaki, lisibles par exemple dans ces quelques lignes de Gersende.
Citation:

(p95)
" Fruits d’une longue observation, tous les films du réalisateur sont pensés, pesés dans leurs moindres détails : aucune dimension n’est négligée pour figurer de manière la plus réaliste possible les différents éléments constitutifs de la Nature. Ceci a pour conséquence directe de crédibiliser l’univers représenté, qui nous frappe d’autant plus lorsque ces somptueux paysages, magnifiques havres de paix dans lesquels tout un chacun rêve d’évoluer, sont saccagés sans retenue par la faute d’une poignée d’êtres humains sans scrupules."


Mais que vaut un tel message dans la mesure où le spectateur n'est jamais amené à s'identifier aux "barbares" saccageant la nature?
C'est aux jeunes héros (souvent couple mixte pour faciliter l'opération) que le spectateur s'identifie, héros par ailleurs invariablement nobles (Shîta, Ashitaka, Alen) et/ou "élus" (Nausica, même Chihiro comme le révèle la conclusion du film), et donc propres par essence à préserver la Nature (lorsqu'ils ont une quelconque influence sur elle, ce qui reste à démontrer). Autant pour l'humanisme.


Citation:
(p97)
"Cette relation conflictuelle et cornélienne ne peut faire l’objet d’aucun compromis, s’engageant inévitablement vers une issue dramatique. Pourtant, l’œuvre de MIYAZAKI est loin d’être désespérée. Le réalisateur offre de nombreux moments d’infinie poésie, et diverses saynètes plus franchement désopilantes, mais surtout laisse, avec élégance et sincérité, l’espoir de croire à un dénouement pacifique, limitant autant que possible les dégâts, dans ce maelström confus et chaotique. La solution avancée : l’enfant.
Volée et violée, la Nature demeurera en l’état tant que l’être humain, dans sa soif de colonisation et sa mégalomanie jusqu’au-boutiste, ne réalisera pas les limites de sa folie."


Message fataliste s'il en fut, à l'image de la tentation du Déluge ponctuant l'impossible action humaine sur la Nature (cf Ponyo): "ne faites rien car vous ne pouvez rien, mais gardez espoir".

D'ailleurs, en quoi l'"enfant" pourrait-il représenter de quelque manière que ce soit une "solution"? Il n'influe en rien sur son environnement et chez Miyazaki comme ailleurs est voué à abandonner son lien fusionnel à la nature en grandissant. L'enfant est justement mis en scène par Miyazaki en tant que héros pour son irresponsabilité constitutive, permettant au réalisateur d'évacuer à peu de frais la question du non-engagement politique.

Ainsi, s'exprime-t-il (p17):
Citation:
"L’appartenance à un mouvement, aussi noble soit-il, me rebute. Mais je crois que la nature reprendra le dessus sur l’homme, quoi qu’il arrive."



En somme, Une oeuvre faite de résignation, de complaisance envers les fantasmes de "l'inconscient collectif" nippon (pour avoir vu certains de ses films au Japon en compagnie de Japonais et en avoir discuté ensuite, il était clair que nombre d'entre eux viennent voir les films de Miyazaki pour se convaincre d'être toujours ce peuple vivant harmonieusement dans la nature, avant de retourner à leurs cités de béton climatisées), et de fuite d'un réel sur lequel on n'influe pas. Pour l'humanisme, il aura fallu attendre Ponyo et ses quelques bribes de discours féministe...c'est bien peu.


Il n'est dès lors pas étonnant d'entendre Miyazaki hurler avec Tomino Yoshiyuki (créateur de la série Gundam) contre une oeuvre telle qu'Evangelion* qui prétend mettre le jeune spectateur en face de ses responsabilités et de ses carences et non lui faire miroiter un Ailleurs gratifiant d'héroïsme (Gundam), de Nature mystique et/ou de Fantastique (Totoro, Chihiro).



*
"Evangelion c'est typiquement ca: "je déteste tous ceux qui ne sont pas moi, je préfèrerais qu'ils n'existent pas, alors je ne les montre pas à l'écran". On a tous ce genre de pulsion en nous. Laisser filtrer dans un film ce genre de sentiments induits par l'époque, par la situation, j'ai trouvé ca pitoyable." (Miyazaki Hayao, in Kaze no kaeru basho, Nausika kara Chihiro made no kiseki)

Ecrit par antonz, le Mardi 7 Avril 2009, 22:52 dans la rubrique "archives".

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Commentaires

Quelques précisions issues d'un débat autour de l'article

antonz

19-05-09 à 00:06

J'ajoute ici quelques précisions apportées au cours d'un débat sur l'article ci-dessus:


Dans son ouvrage sur l'histoire de l'animation (Kyôyô to shite no manga - anime), Sakakibara Gô rapporte le soutien énorme dont a joui Miyazaki auprès du public otaku dans les années 70- début 80 (à l'époque de Conan et Cagliostro). Il était alors considéré par eux comme "le plus otaku des réalisateurs", "même si le sollipsisme caractéristique du genre n'était pas aussi visible dans ses oeuvres, en apparence familiales, les signes de l'expression otaku y sont omniprésents et ils ne s'y trompaient pas" (p152, je traduis). Nous sommes alors en plein essor de la vague, portée par la diffusion de Yamato en 74 et 77 (vague qui selon Sakakibara aurait été "préparée" par Horus prince du Soleil qui défriche les thèmes et expressions adolescentes dès 68, film qui reflète par ailleurs l'atmosphère très dure du moment pour Takahata et Miyazaki alors en pleine lutte syndicale à la Tôei*, qu'ils quitteront pour cette raison en 1971 suivis l'année suivante des meilleurs effectifs du studio. Pour Sakakibara, Mononoke est d'ailleurs une sorte de "remake" d'Horus, idée intéressante et qui se tient dans la mesure ou le contexte historique très dur du second - crise économique du début des années 90, évènements de 1995 - a sans doute appelé un écho au premier).

Il évoque bien sûr l'armement (Takahata dit de Miyazaki qu'il est un "pacifiste qui adore les tanks et les avions de chasse"), le gigantisme (robots, etc)...et les jolies filles (le fantasme de la bishôjo), "souvent de type princesse à jupe, déterminées mais aussi pures, et toujours sauvées par le héros." Ainsi, c'est avant tout au fantasme otakisant dont il est typique qu'il convient de relier ce type de traits, Takahata (qui visiblement aime bien balancer gentiment sur son compère), disant encore: "Miyazaki a ce fantasme de se muer en héros protecteur" (p153).


*Takahata est sous-chef du syndicat de la Tôei Animation, Miyazaki est secrétaire général. La grève dans le milieu est un évènement déterminant qui précipite la fuite des talents de la Tôei et la faillite de Mushi Pro, la compagnie concurrente de Tezuka (en 1973. ibid, p137). Autant pour le caractère "minime et anecdotique" de l'engagement syndical des compères.
Les difficultés de cette période (et le contexte historique que j'ai rappelé) entraînent sans doute le "revirement" de Miyazaki vers une oeuvre plus optimiste, cf Panda Kopanda en 1972. Takahata qui reste tenant d'un volet social de l'animation (Sakakibara parle de "propagande" sans doute pour souligner le contraste), se montrera d'ailleurs de plus en plus critique envers la fuite de son compère dans le fantastique. Sakakibara voit dans Mononoke un tournant dans l'oeuvre de Miyazaki qui "cesserait de fuir", mais son livre parait en 2000. Il apparait depuis que Mononoke était une exception (engendrée par l'époque comme le film d'Evangelion sorti la même année), les oeuvres suivantes repartant de plus belle vers cet Ailleurs fantastique où l'herbe est plus verte.




Il y aurait d'autres choses à dire sur le film et sa réception au Japon cette année là, comme le fait assez peu connu que le "consensus" à son sujet s'est dessiné suite à son énorme succès, et que les avis du public otaku qui jusqu'alors idolatrait les films de Miyazaki étaient en fait très partagés, justement parce que le film rompait avec certains codes de l'animation "gratifiante", notamment le happy end univoque (songer que cette carence déchainera aussi la colère des otakus suite à la diffusion des derniers épisodes d'Evangelion, mais cette série là en plus remplacait la dite conclusion univoque par une critique à leur égard).


Mon contradicteur évoque ensuite Chihiro, Nausica, Mononoke et Ponyo pour souligner le rôle positif joué par l'homme sur la nature, mais là encore, je ne suis pas dupe. La multitude de personnages "normaux" que évoqués (je ne relève pas Lupin, Porco etc car mon sujet est écologie ET humanisme, pas OU*) ne peut agir qu'en "tandem" avec un/une "élue" du Pouvoir supérieur désigné du film. (Nausica est l'Elue typique, je n'insiste pas car 7 volumes et 1 film nous la montrent telle qu'elle est: Jeanne d'Arc animée et suscitant une Passion mystique. Passons sur Alen, je l'ai cité parce que Gedo Senki a tout d'une "copie appliquée" d'un film du père, en reprenant les motifs de manière ultra-scolaire)

*(on pourrait en parler facilement pourtant: ces héros adultes sont justement sans lien à la nature. Seul l'Enfant, dans son innocence, a prise sur elle. Mais comme je l'ai rappelé dans mon texte, l'enfant est irresponsabilité: c'est justement, socialement parlant, celui qui ne peut pas agir...et le serpent de se mordre opportunément la queue...)

Au sujet de Chihiro qui est un assez bon exemple: notons que les parents sont transformés en porc dès leur passage dans l'outre monde. Chihiro est préservée par son innocence d'enfant d'une part, mais surtout, comme il est clarifié sur la fin, par son "élection" par le dieu de la rivière dans laquelle elle a manqué se noyer plus jeune.


Evidemment, les motifs miyazakiens sont universels: ce sont ceux du conte. Il y ajoute une dimension mystique proprement japonaise qui confère à ses oeuvres un cachet exotique pour le spectateur étranger, et familier pour le japonais, et a l'intelligence de ne pas sombrer dans le manichéisme. Sur tous ces points, son talent est à saluer et je le fais volontiers. Il n'en reste pas moins qu'un hyatus assez criant persiste entre l'appréciation de son oeuvre et de son "message" en Occident et sa signification dans un contexte japonais qui sont très éloignés, voire diamétralement opposés. En remettant l'oeuvre dans son contexte socio-historique, c'est ce que j'ai essayé de montrer très rapidement mais sur la base d'études historiques et critiques et non uniquement des discours de l'auteur et de ses séides, comme c'est trop souvent le cas.

Le but n'est pas de taxer l'auteur de complaisance: je crois qu'il travaille avant tout pour lui même en perpétuant sa vision d'un fantastique et d'une nature comme valeurs-refuges qui permet de ne pas voir le Japon réel et ses errances, ou au moins de faire "comme ci". Ce n'est pas en soi condamnable et on a tous besoin de cela, mais au moins, ne prétendons pas qu'il fait l'inverse...



Sources:
en plus du mémoire de Gersende et des films et ouvrages de Miyazaki:
En japonais
ÔTSUKA Eiji:
-Otaku no seishinshi
-Character shôsetsu no tsukurikata
-Subculture hansenron
-Kyôyô to shite no manga-anime
-Teihon monogatari shôhiron
SUGA Hidemi:
-1968
-Kakumeitekina, amari ni kakumeiteki na

En français:
BOUYSSOU Jean-Marie (collectif)
-Le Japon contemporain

en anglais:
AZUMA Hiroki: Anime or something like it: Neon Genesis Evangelion


Un petit mot

kenarlon

13-09-09 à 22:56

Salut Antonin,

J'ai lu ton texte sur Miyazaki et c'était bien intéressant.
Je suis bien d'accord sur ce que tu relève en parlant de la nostalgie à un Japon harmonieux avec la nature et la figure de l'enfant mise en avant comme "solution" (mais impossible), qui est finalament et ironiquement "en harmonie" avec cette vision nostaligique de la nature japonaise. Et je suis également d'accord sur la part d'irresponsabilité qu'on peut voir dans cette "solution" donnée par Miyazaki.

Suite à la lecture de ton analyse, j'ai eu envie de te rappler la fameuse analyse de Ruth Benedict (qui est absente dans ta référence) qui rejoint parfaitement et curieusement ton analyse.
Dans sa fameuse "culture de la honte (haji no bunka)", l'auteur consacre beaucoup de pages sur l'enfance japonaise : en bref, l'enfant au Japon vit en pleine liberté et dépend totalement et affectueusement de son entourage (donc Amaeru) contrairement à celui en Occident où il est censé être toujours puni pour ses mauvais actes, donc il y a la culture de la culpabilité (tsumi no bunka). Selon l'auteur, devenir adulte au Japon c'est de connaître la honte (haji wo shirukoto) et c'est effectivement en connaissant la honte dans la communauté que les enfants japonais doivent connaître un passage radical et douloureux de l'enfance à l'âge d'adulte (plus de liberté dans la nature mais que des contraintes dans la société !) Du coup, toujours selon l'auteur, dans les arts et littératures japonais, la figue de l'enfance est souvent évoquée avec un sentiment de nostalgie et ce sentiment est toujours présent dans le coeur des japonais.

Ensuite, le lien que tu fait entre l'enfant japonais et l'irresponsabilité m'a bien interpellé : dans la notion de la responsabilité, ou encore la responsabilité individuelle (qui est mise en avant aujourd'hui dans les discours post Etat-providence ou néo-libéraux), je vois bien l'affinité avec celle de la culpabilité. Ex. en responsabilisant les chômeurs de leur parcours d'insertion, on les culpabilise de leur échec ou inactivité. Et donc dans ce schéma, être irresponsable est ne jamais être coupable !

C'est pas pour dire que ton analyse est biaisée par la culture occidentale, mais le fait que tu dénonce en terme d''irresponsabilité et de nostalgie m'a paru doublement intéressant, en mettant en parallèle avec cette analyse classique de Ruth Benedict. On est jamais responsable donc coupable au Japon devant une autorité absolue "extra-sociétale" comme le Dieu transcendant et créateur du monde (ou la Volonté générale de Rousseau qui l'a remplacé ! D'où curieux rapport avec l'enfant chez Rousseau défendu dans Emile. Et une acception qui a été très favorable de l'Emile chez les pédagogues japonais, qui est un sacré malentendu, en fait !!!). Mais c'est dans les communautés que les individus règlent leur comportement en connaissant la honte à chaque moment et lieu, comme les codes à respecter suivant différentes scènes sociales. Mais là, le jugement absolu n'existe pas, mais tout est relatif entre ces différentes situations à pondérer (ex. famille et entreprise) Mais aujourd'hui, c'est justement ces communautés qui fonctionnaient bien jusqu'à une cetraine époque, qui ne fonctionnent plus. Mais la notion de la responsabilité pénètre très mal dans la société japonaise et à la limite, elle n'a quasiment pas de sens, car il n'y a pas de valeur absolue devant laquelle on est vraiment responsable ou coupable.

Je peux te conseiller de lire également un livre de best seller de Miyadai "Owarinaki nichijô wo ikiro" : là, il analyse aussi une série de dessins-animés japonais des années 80 de type science fiction de Yamato à Evangelion, mais un peu différemment que toi : il voit dans ces oeuvres (dont bien sûr il y a toute un changement de tendances) un schéma comme "rêve de armaggedon"(Yamato, Gundam etc.) et "utopie communaitaire post armaggedon" (Hokuto no ken, Naussica..) qui sont généré par une situation sociétale où la possibilité de ces deux extrèmités n'existent plus, donc le "quotidien infini" dans lequel il n'y a plus de grand espoir ni de grand désespoir. Et il fait tout-à-fait la même analyse que toi sur ce que disent de vieux intellectuels comme Yôrô Takeshi ou Katô Norihiro : du genre "les gens contemporains n'ont plus d'occasion d'avoir des expériences vives dans un monde fortement virtualisé, donc il faut les faire connaître la nature.." Pour Miyadai, ce genre de discours n'essaie que d'imposer aux jeunes générations  leur propre nostaligie à eux sur une société japonaise qu'ils ont pu connaître dans leur enfance à la campagne (ou dans la guerre !)
Je peux aussi te donner la référence suivante sur l'analyse de Miyadai sur les dessins animés
サブカルチャー神話解体―少女・音楽・マンガ・性の30年とコミュニケーションの現在
宮台 真司 (著), 大塚 明子 (著), 石原 英樹 (著)

Enfin voilà, tout ça pour dire que j'ai bien admiré ton texte !!!

Ciao ciao.

Ken


Re: Un petit mot

antonz

07-10-09 à 19:52

Merci pour ces commentaires..

Puisque nous sommes dans les références bibliographiques, j'ajoute l'ouvrage d'Ôtsuka paru cette année, qui fait le tour du sujet en déconstruisant les récits de Miyazaki (et de ...Murakami Haruki) pour en expliquer entre autres le rayonnement international (un indice: tout est dans la structure, rien que la structure..):

Monogatari ron de yomu Murakami Haruki to Miyazaki Hayao - Kôzô shika nai nihon (Kadokawa, 2009)

Je n'ai pas le temps de développer ici ses arguments, néanmoins en quelques mots: pour Ôtsuka (qui reprend le jugement lapidaire de Karatani sur ce type d'oeuvres: "ca marche parce qu'il n'y a plus que la structure"), les structures narratives des oeuvres en question obéissent strictement au programme narratif du monomythe campbellien (celui de la quête héroïque) tel qu'il se manifeste notamment dans La guerre des étoiles..En cela, ils sont représentatifs d'une pop-culture mondialisée "assimilable" aux quatres coins de notre monde post-industriel. Ôtsuka passe du coup un peu vite sur les spécificités des produits culturels japonais et de leur succès à l'étranger - particulièrement ceux de Murakami et Miyazaki dont les causes sont tout de même plus intéressantes à analyser que celles du déferlement des produits habituels de la pop-culture nipponne -, mais parvient au moins à démonter la structure des romans murakamiens pour en dégager le "programme narratif" - au sens informatique - , ce qui n'est déjà pas si mal.

Les oeuvres, donc, suivent le programme narratif susdit...à la différence près que le héros masculin ne vit pas jusqu'au bout le rite de passage à l'âge adulte, ce segment étant confié en cours de récit au personnage féminin qui, lui, grandit et accède à l'autoréalisation.
Le personnage masculin, quant à lui, se contente d'une stase ou du retour au statu quo, quand ce n'est pas, le plus souvent, un retour nostalgique bien plus profond sous la forme d'une régression utérine, les mondes en question étant placés, surtout chez Miyazaki, sous le signe dominant d'une féminité toute puissante.

Il suffira, pour s 'en convaincre, d'admirer la plongée finale des héros de Ponyo vers une poche de vie sous-marine dans un océan de liquide amniotique qui, sous l'impulsion de la Grande Mère, a envahi et "sauvé" le monde en le renvoyant au "Dévonien"...

Régression utérine, Grande Mère, Dévonien.....Bien entendu, ces mots clefs n'ont rien à voir avec la nostalgie de l'archaïque que j'évoquais tantôt au sujet de The Wrestler.........ou si peu.