NEON GENESIS EVANGELION : YOU ARE (NOT) ALONE
--> Opération résurrection (au scalpel)
Premier film d’une tétralogie destinée à remettre la série
au goût du jour, ce « prélude » (le projet reprenant la terminologie désignant
la division théorique d’une pièce de Nô « jô » prélude, « ha » explosion, « kyû
» accélération à laquelle s’ajoute un 4ème acte de conclusion qui proposera
vraisemblablement une fin totalement inédite) ne fâchera sans doute personne,
malgré les échos alarmants du cahier des charges qui laissaient entendre un
remix traité sur un mode plus optimiste, moins sombre que la série originale.
En effet, ce premier opus concentrant les épisodes 1 à 6 de
la série et s’achevant sur le climax de la fameuse « opération Yashima » reste
dans l’ensemble étonnament fidèle à l’œuvre originale.
L’intérêt premier d’un tel remake étant dès lors
naturellement son aspect formel, nous commencerons par là. De ce point de vue,
le résultat est excellent. La finesse du trait et l’utilisation des techniques
numériques modernes permettent un rendu excellent, et on est donc gratifié du
pur plaisir d’admirer la série originelle sur écran géant et fonds d’explosions
assourdissantes bien comme il faut. Les arrières plans sont splendides, les
Anges charrient à leur « mort » des flots de sang fort esthétiques, les combats
sont résolument dynamisés (avec nouveaux joujous pour les robots, etc)…
Le seul bémol sur le plan visuel résidant dans un syndrome «
windows vista » un peu irritant, l’intégralité des plans sur les écrans de
contrôle de la NERV
et autres visuels scientifiques étant maintenant retravaillés dans un rendu 3D
un peu m’as-tu vu sans être particulièrement beau pour autant, qui donne un peu
l’impression de faire de la CG
pour la CG… (de
même en ce qui concerne les effets visuels d’explosions cruciformes, voire les
Anges eux-mêmes qui – du moins pour le 6ème j’ai nommé « Losange Bleu » (je
reviendrai sur le décompte) morphe à tout va en se parant de ses plus beaux
reflets bleutés estampillés « Photoshop 2015 »). Tout cela reste tout de
même fort acceptable.
La musique, remixée elle aussi, reprend les thèmes originaux
de manière pas toujours très heureuse, en y ajoutant de nouveaux, notamment
lorsqu’il s’agit de souligner le climax final dans un récitatif un peu guerrier
entre Passion de Bach et Carmina Burana sur un modèle désormais bien connu.
Le scénario lui-même ne semble pas à priori chamboulé, malgré
de très nettes indications qui annoncent de larges remaniements (Une énorme
empreinte de corps humanoïde sur une colline au début du 1er épisode, Sachiel
dénommé « 4ème Ange » et non plus « 3ème », et Gendô évoquant ici 8 Anges à
éliminer à partir de « Bite Géante » - qui a visiblement fricoté avec un
crustacé de trop avant ce remake - …)
On note aussi la recrudescence des marques déposées, le
symbole de la NERV
(retravaillé, tout comme celui de la
Seele, qui dispose désormais de sa jolie devise en allemand)
étant présent en sur-abondance, de même – et c’est plus gênant – que celui des
partenaires commerciaux : café UCC, Pizza Hut, Doritos, Lawson, bières Yebisu
et Kirin sont omniprésents, ce qui n’est pas non plus insupportable mais vient
rappeler le rapport très ambivalent que
la série a toujours entretenu avec l’aspect purement commercial de l’animation
comme produit de consommation de masse, rapport que la déclaration d’Anno
carrément utilisée comme affiche du film vient souligner fort à propos : dans
cette déclaration d’intention, l’auteur énonce les raisons qui l’ont poussé à s’engager dans ce projet de remake
(pour lequel il ne s'est d'ailleurs pas associé à la Gainax mais a fondé sa
propre unité de production, "studio Khara") : la déception par rapport
au fait qu’aucune œuvre, depuis 12 ans, ne soit venue secouer le cocotier de
l’animation comme l’avait fait la série en son temps, la volonté de la
réactualiser pour la rendre accessible à un nouveau public, notamment à la
génération actuelle se détournant peu à peu de l’animation, avant d’enchaîner
sur un étrange layus sur l’animation comme composante de l’industrie des
services, ce qui nécessiterait donc selon lui de rendre cette nouvelle version
plus accessible au grand public, plus proche du « divertissement » que son
aînée (ce sont peut être ces déclarations qui ont été prises dans le sens du «
faire une version plus optimiste ».)
Quoi qu’il en soit, ce premier film ne propose pas une
atmosphère radicalement différente de l’original, avec toujours les hésitations
de Shinji (qui dort dans des cartons lors de sa fugue, à l’image des sdf
tokyoïtes), son rapport complexe à son entourage, son père et (ex-spoiler ?) sa
mère - partenaire, mais à y regarder de plus près, on finit par comprendre en
quoi le remake se veut plus accessible.
La série est en effet connue pour sa capacité à proposer de
manière systématique plusieurs niveaux de lecture à chaque élément proposé (ce
qui généralement divise sa critique y lisant qui de la prétention, qui du
génie), or, ce film ampute systématiquement les scènes clefs d’un niveau de
lecture secondaire pour se concentrer sur une vision « canonique » à laquelle
il est désormais difficile d’échapper. On perd ainsi, pour d’évidentes
questions de rythme, toutes les séquences fixes d’hésitation, de contemplation
qui apportaient tant au découpage original, mais également des inserts qui
venaient changer totalement la perception de certaines scènes pour peu qu’on
prenne la peine de les prendre en compte : ainsi, par exemple, la scène finale
du film (et de l’épisode 6 donc) qui voit Shinji forcer l’écoutille de la plug,
à l’image de son père, pour en libérer Rei, qui la voyait réagir favorablement
à son sermon très fleur bleue en finissant par lui sourire, était retournée comme
une crêpe dans la version originale puisqu’elle n’y parvenait qu’en superposant
au visage de Shinji celui de son père, ce qui venait ridiculiser le discours de
notre pauvre anti-héros et conférait ainsi à la scène une cruauté voilée de
fort bon aloi. Ici, foin de double sens, puisque la surimpression en question
est supprimée, on retombe dans le premier degré et l’orientation originelle
voulue par le staff sur ce remake : le héros souffre, certes, mais il s’intègre
finalement plutôt bien parmi ses semblables (Misato lui fait d’ailleurs écouter
les messages d’encouragement de ses camarades de classe pour l’inciter à monter
dans l’Eva, dans un surlignage dont on se serait bien passés).
La participation au projet du réalisateur du blockbuster
Nippon Chinbotsu (« La submersion du Japon ») [nb: qui avait déjà travaillé sur la série originale, donnant d'ailleurs son prénom au héros - merci à O. Hague pour ce rappel], vient par ailleurs souligner une
tendance lourde dans la (pop)culture japonaise que la série avait jusqu’alors
évité en la retournant (encore) contre elle, soit l’appel à la connivence du
public japonais comme communauté ethnocentrée. L’épisode 6, avec son opération
invraisemblable concentrant « l’énergie de tout le Japon » se prêtait
parfaitement à ce type de surlignage, et le remake ne s’en prive pas en
multipliant les prises de vue sur les populations réfugiées alentour, à la
manière du film précité. L’œuvre originale venait in fine tordre le coup à ces
stéréotypes en proposant un « plan de complémentarité » venant anéantir la
communauté entière en la fondant dans un übermensch robotisé aisément lisible
comme métaphore de l’entité impériale (tout comme le cours du vieux professeur
faisait clairement écho à la situation du Japon dans l’immédiate après-guerre –
passage supprimé lui aussi), mais qu’en sera-t-il dans cette relecture ? (en
ira-t-il de même des passages permettant une relecture de la série comme
métaphore de l'affaire Aum, que certains intellectuels avaient reproché à Anno
de ne pas revendiquer clairement, à l'instar d'autres piques, notamment celles
lancées aux Forces d'Autodéfense? On se souvient qu'une telle controverse avait
d'ailleurs opposé l'un d'eux à la doubleuse Hayashibara Megumi, qui elle
revendiquait clairement ses positions nationalistes, mais c'est un autre
débat...)
On reste cependant très proche de l’atmosphère originelle,
malgré quelques prolepses assez impressionnants qui participent tous de cette
tentative de simplification des motifs un peu maladroite (Misato emmène Shinji
au Central Dogma et lui montre Lilith – en l’appelant ainsi et non Adam - , et
lui expliquant le danger que courent tous les membres de la NERV
à travers l’imminence d’un 3ème Impact, explications qui intervenaient bien
plus tard dans la série originelle), jusqu’au cliffhanger final qui voit s’éveiller Kaoru sur ce qu’on devine être la Lune Blanche, avant
de converser avec un monolithe de la
SEELE sur fond de gigantesque jumeau casqué de
Lilith.
Le film s’achève alors sur un générique un brin sirupeux
chanté par Utada Hikaru, dont les paroles s’intègrent étonnament bien dans la
trame générale de la série, et qui semble augurer un finale calqué sur celui
des premiers films.
Mais on a ensuite affaire à une bande annonce du second
volet qui vient totalement briser l’impression de « léger aménagement » pour
basculer dans quelque chose de….euh…mh… « différent » ? On voit des EVA-00 à 05
opérationnels et au combat (l’un d’eux arborant notamment un casque emprunté à
son cousin éloigné Gunbuster), des personnages totalement hors de leur rôle
originel et même (il fallait s’y attendre), des personnages originaux, le tout
sur fond de surenchère mythologique assez indescriptible (ADAMS, LILINS+,
etc…).
Il semble donc que si ce prélude était destiné à ne pas trop
effrayer les fans originaux et à faire entrer en douceur les derniers arrivés
dans un univers légèrement « décomplexifié », sa suite s'annonce, elle,
résolument « décomplexée »…
Ecrit par antonz,
le Mardi 16 Octobre 2007, 17:30
dans la rubrique "archives".
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Commentaires
Excellente critique
Cedric1808
02-12-08 à 12:19
Bonjour,
Je viens de tomber, un an après sa rédaction, sur cette critique d'"Evangelion : You are (not) alone" et sincèrement ...... merci !
Il est aujourd'hui rare de trouver des critiques aussi exhaustives, étayées mais malgré tout synthétiques et surtout parfaitement objectives.
Une lecture fort agréable qui permet d'appréhender le film tel qu'il est avec ses qualités et ses défauts, mais donnant véritablement envi de le découvrir pour se forger un avis.
Au plaisir de vous relire à la sortie d'"Evangélion : You can (not) advance"
Bien sincèrement,
Cédric
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