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Toujours en faire des tonnes...

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Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar

--> Film japonais de Shôhei IMAMURA (1970)



"Nippon Sengoshi : Madame Onboro no seikatsu"

Akemi, ex-hôtesse du bar "Madame Onboro" (Madame Déglinguée), revient de son "exil doré" (?) aux USA sur la demande expresse (et romancée) d'Imamura pour raconter sa vie devant la caméra, sur fond d'images d'archive (ou non) rappelant les évènements marquants de l'histoire du Japon d'après guerre, de la capitulation de 1945 au détournement d'avion par l'Armée Rouge japonaise de 1970.

Le génie d'Imamura consiste ici à aménager une partition à deux voix, l'une soutenant constament l'autre en lui apportant un second éclairage ou un contrepoint. Ainsi, "grande" et "petite" Histoire, histoire collective et histoire privée s'entremêlent, livrant tour à tour les interactions, les malentendus, les indifférences de l'individu (de la femme ici, qui -comme toujours chez Imamura- mène la danse en sous-main) à l'égard de l'Histoire qui s'écrit autour de lui, et vice versa....le tout mis en perspective par un astucieux jeu métanarratif -qu'on avait déjà vu quatre ans plus tôt dans Le Pornographe (Erogotoshi tachi), puisqu'on assiste au début du film aux conversations entre Imamura lui-même et son "actrice", puis à la négociation surréaliste du contrat que celle ci délègue à...sa mère, dont la logorrhée vaut son pesant d'or.


Imamura mêle "trivialité" des amourettes et autres problèmes d'argent d'Akemi et de sa petite famille et "horreur", ou tout au moins gravité extrême des évènements historiques secouant le pays: les contrastes, les analogies évoquées par l'enchaînement des plans sont parfois osées, mais rarement gratuites, et si Akemi semble regarder tranquillement le cyclone de l'intérieur, sans même le voir, ledit contraste ainsi instauré n'en est que plus saisissant, l'humour de la dame, très bonne cliente, y ajoutant une touche supplémentaire, notamment lors de la vertigineuse séquence finale. Elle y évoque, se lachant complètement, ses projets "mégalomanes" de gains exponentiels au pays des dollars pour lequel elle s'envole à nouveau avec son fiancée yankee de vingt ans son cadet, laissant libre cours à ses visions arrivistes extravagantes d'argent, de visas, de divorces et de pensions alimentaires. Cette dimension ultra-pragmatique, sympathique et irritante à la fois par son incroyable degré d'aveuglement (il n'y a qu'à l'entendre nier les massacres que les GI's, ces "jeunes hommes si sympathiques" qu'elle apprécie tant, ne sauraient avoir commis au Vietnam..) vient à postériori justifier complètement la démarche historique du film: c'est (aussi) parce que les humains restent sourds, aveugles, égoïstes et bas du front en toute circonstance que ladite histoire avance, chaotiquement, souvent pour le pire...
On est alors, à travers les sympathiques aveux de cette "enfant du siècle" dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle aura toujours, paradoxalement d'ailleurs, bien gardé les pieds sur terre, dans une nouvelle forme de prospective historique qui en dit long sur l'avenir qui s'ouvre au Japon à partir des années 70: en route vers le profit, le profit sans odeur, sans idéologie, tranquillement vers la Bulle, son effondrement, et le vide qui suit...

Parmi la cargaison de films d'Imamura que j'ai eu le plaisir de réceptionner et de visionner récemment, j'attire également l'attention des amateurs sur le magistral PLUIE NOIRE (Kuroi ame), adaptation du roman éponyme de Masuji IBUSE portant sur l'explosion atomique de Hiroshima et ses répercussions sur une famille de propriétaires terriens des environs: le contraste là encore est saisissant, cette fois entre le cadre riant et la vie paisible dans la campagne nipponne et le sort terrible des irradiés qui y mourront peu à peu, sans cesse rappelés -y compris par les convenances sociales- à leur condition de malades (le mot "parias" n'est pas bien loin) malgré toute leur volonté de mener à nouveau une vie "normale". Comme toujours chez Imamura, le désespoir lui-même est ici contré par une force vitale à toute épreuve, et par le rire, même si on sent cette fois le réalisateur vaciller devant notre folie.

Voir également La Vengeance Est à Moi (Fukushu ha ware ni ari), pas si éloigné par ailleurs des thèmes développés dans Pluie Noire, et qui propose la lecture "imamurienne" du serial killer. Il va sans dire qu'elle n'a rien à voir avec les petites machines à frisson glauques ou les apologies moralisantes habituelles: ici encore, c'est l'"humain trop humain" qui intéresse Imamura. Son assassin reste humain, et les longues "tranches de vie" au cours desquelles on le voit, au coeur même de sa cavale, "mimer" les habitudes d'une vie presque normale nous le rappellent...les crimes sordides qui les ponctuent nous rappelant alors que cela n'excuse rien, la Nature et Dieu même finissant par rejeter ses ossements dispersés par son père aux quatre vents.

Une image plus gaie d'Imamura pourra être vue avec EE JA NAI KA ("Pourquoi pas??"), fresque historique délirante centrée sur les mouvements populaires de la fin du régime militaire au 19ème siècle (l'époque dite du "Bakumatsu"): le héros de retour des USA (ce qui alors constitue un crime en soi) tente d'y convaincre sa belle, "danseuse de cabaret", de repartir avec lui pour la "terre promise" (la "Terre Pure de l'Ouest?), mais pris dans les mille engrenages politiques et autres plus ou moins fines magouilles de cette époque troublée, le drôle connaît une fin tragique, fusillé à la fin d'une démonstration populaire spontanée montrant bien la folie et l'incertitude de l'époque, sorte de procession dansante endiablée au cours de laquelle les joyeux fêtards envoient ballader Shogun et fiefs puisque de toute façon, les dieux vont bientôt venir pour "reformer le monde"!...Une sorte de "Ni dieu ni maître" avant l'heure, nihilisme joyeux qui n'aura plus d'autre expression dans l'Histoire japonaise (les avatars suivants se révélant bien plus tragiques). L'Ordre (ou ce qu'il en reste, samurais, nobles déchus ravalés au rang de cupides intrigants) courroucé représenté alors par une soldatesque bornée se chargera d'ailleurs de l'expliquer - non sans arrières pensées calculatrices - au héros, à coup de plomb . Triste fin pour un film constamment inventif, souvent hilarant et grâce auquel on en apprend long sur cette période complexe, à travers l'oeil de ce "petit peuple" de marginaux, truqueurs au grand coeur et perdants magnifiques qu'affectionne tant Imamura.

Ajoutez (pour ne citer que des films vus récemment) l'amusant jeu de poupées russes auquel se livre Kon ICHIKAWA dans La Vengeance d'un Acteur (Yuki no Jô henge), histoire de vengeance personnelle donc sur fond de théâtre Kabuki (difficile d'ailleurs d'y reconnaitre ce qui y relève du film et du théàtre, du "réel" et du "jeu": cette ironie perpétuelle parfaitement assumée fait tout le sel du film) avec l'inénarable Kazuo Hasegawa, ou le beau et archi-classique Chikamatsu Monogatari (Les amants crucifiés) du maître absolu de l'élégance Kenji MIZOGUCHI, qui tape dur sur les codes de la société féodale, et vous aurez un bel aperçu de ce que le cinéma japonais peut tirer (détourner?) de meilleur, dans des registres bien différents, d'un "cadre historique"...

Les fiches des films sur Cinémasie:

Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar (1970)

Le(s) pornographe(s) (1966; adapté de l'excellent roman éponyme d'Akiyuki NOSAKA)

Pluie Noire (1989)

La Vengeance est à moi (1979)

EE JA NAI KA (1981)

La vengeance d'un acteur (1963)

Les amants crucifiés (1954)

Ecrit par antonz, le Lundi 18 Avril 2005, 13:54 dans la rubrique "archives".

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