Hauru no Ugoku Shiro (Le Château Ambulant)
--> Film d'animation japonais, 2004. Réalisation: Hayao MIYAZAKI
Trop
de tours tue
Dans
une cité à l’esthétique européenne entre Angleterre victorienne et Alsace de
carte postale, la jeune Sophie fabrique des chapeaux sans trop de passion et s’accommode
plus ou moins des frasques de sa famille. Un jour, elle rencontre par hasard le
beau magicien Hurle, se fait embarquer dans ce qui ressemble fort à une
querelle de ménage entre sorciers, suite à quoi l’amoureuse éconduite du jeune
premier jette à l’héroine un sort qui la transforme instantanément en vieille
grabataire.
Commence
alors une épopée fantastique à
Avant
tout, l’impression principale laissée par ce nouveau film du célèbre studio
d’animation Ghibli est celle d’un album photo résumant l’intégralité de la
filmographie du studio. La recherche des œuvres dont est issue chaque idée est
agréable au fan (peu ou pas de neuf, uniquement de la reprise, du mixage et de
l’adaptation : on retrouve en vrac des éléments provenant
d’absolument TOUS les films précédents du studio, sans exception – à chacun le
plaisir de mettre la légende sous chaque « vignette »-), mais ce coté
« album de famille » dessert finalement l’oeuvre, car à vouloir trop
en mettre, on ne met finalement rien (de profond). Le film est un patchwork qui
n’a pas ou trop peu d’identité propre.
Ainsi
des seconds rôles trop sommairement esquissés, qui ne bénéficient d’aucun
traitement personnalisé, d’un background souvent limité à une ou deux
caractéristiques, une scène/phrase flashback énigmatique et surtout une bonne
grosse ellipse (critique qui pourrait, dans une moindre mesure, s’appliquer
également aux premiers rôles). Les personnages les plus importants, sur qui est
sensée reposer l’intrigue, manquent par ailleurs de polarisation nette dans
leurs interactions, aucun n’assumant pleinement son identité ou son statut(de
héros, de vilain, etc) : cette absence est récurrente dans les plus
récents films du studio (et permettait d’éviter le traditionnel manichéisme),
mais elle n’aboutit ici qu’à flouter un peu plus les contours d’une intrigue
qu’on a déjà bien du mal à percevoir. En somme, ces personnages existent peu,
on a du mal à les cerner, à les imaginer en dehors du temps immédiat du récit,
ce qui leur ôte toute profondeur.
Ainsi
également de toutes ces lignes esquissées, rarement approfondies et peu ou pas reliées
entre elles.
Ainsi
du manque de rythme général.
Précisons :
on ne parvient pas vraiment à rentrer dans le film et à percevoir la fabula,
car celle-ci est trop ténue, beaucoup
trop en tous cas pour pouvoir proposer matière à une trame solide sur laquelle
viendraient se greffer les multiples épisodes, tel que cela fonctionnait de
manière magistrale dans les films précédents (Mononoke étant peut être le
meilleur exemple) : il ne reste ici que les épisodes, et on saute de l’un
à l’autre sans trop comprendre, sur un rythme dès lors « clopin
clopant ». La scène d’introduction annonce généralement une intrigue sur
laquelle elle viendra ensuite se poser et à qui elle « passera le
relais » : cette intrigue ne vient pas (car on comprend très vite que
Sophie n’a finalement que faire de retrouver son apparence initiale), et tout
le film va dès lors souffrir de ce « problème d’allumage » : le
spectateur attend tout du long l’arrivée de cette pierre d’angle qui assoira le
film et son rythme, or elle ne viendra jamais.
Pour
ces raisons, absence de ligne cohérente, manque d’émotion, de souffle épique surtout. Sur quel tableau
joue finalement le film ? Que cherche-t-il ? Que veut-il nous
transmettre ? On se pose tout du long ces questions, auquel on n’obtiendra
malheureusement que la plus minimale réponse : il veut nous divertir, en faisant jouer les – certes sympathiques-
ficelles qui ont si bien fonctionné dans les films précédents.
Mais
ce qui devrait conférer à cet opus son identité dans la filmographie du studio,
ce monde baroque de magiciens très 19e siècle, n’est guère plausible. Il est trop
hybride, pas assez typé, et comme aucune ligne de rive n’est vraiment
approfondie et exploitée à sa juste valeur, on ne s’attache à rien, on n’arrive
pas à s’imaginer cet univers au-delà des images qu’on nous montre dans l’instant, et le tout ne dépasse
donc pas le cadre du conte un peu désincarné. (Souvenez vous de la faune qui
peuplait les thermes de Chihiro : on s’imaginait d’où venait chaque
créature, on extrapolait d’après quelques petits détails bien sentis –qui montraient chaque fois tout
l’amour des créateurs pour leurs créatures- son petit univers personnel, sa
mythologie, et la réussite était à la hauteur du soin avec
lequel on nous dépeignait cette maison, son organisation, sa cohérence interne.
Dans Hauru, rien de tout cela, puisque rien ni personne ne bénéficie d’un
traitement un tant soit peu personnalisé et approfondi).
Poser
la question de l’apparence (héroïne
vieillie et –gentiment- enlaidie mais rapport amoureux comme moteur - ?-
du film, son prétendant Hauru hanté par sa vanité narcissique et donc sa dualité
homme-monstre) est peut être LA bonne idée du film, venant le replacer dans le
contexte plus contemporain de
L’idée des portes dimensionnelles est également bonne, mais elle est finalement peu exploitée, ses occurrences manquant de vitesse et de « folie ». Ajoutons qu’à l’instar de bien des films du studio, Hauru souffre d’une fin légèrement languissante… (syndrome ultra-courant dans la production ciné actuelle)
Finalement, un Ghibli mineur (à peu près au niveau des Totoro, Porco Rosso, Kiki’s Delivery Service), mais qui tente de se hausser du col au niveau des majeurs (thème de la guerre repris de Nausica, largeur de l’échelle, etc…), pour un résultat agréable mais mitigé. Le film se veut sans doute de par son ampleur au niveau des Mononoke, Chihiro, Nausica et autres Laputa, mais son manque d’identité et de cohérence le cantonne au rang de –bon- divertissement, à l’image des autres Ghibli « mineurs » (que leur cohérence rend toutefois bien plus attachants et typés que ce dernier opus).
On ne saurait soupçonner le studio d’avoir bâclé l’œuvre, mais c’est parfois l’impression qui se dégage de ce chaos d’idées reprises et esquissées, souvent laissées complètement en plan ou au mieux cousues ensemble tant bien que mal (et tenant ensemble par la « magie » du studio, cette force poétique et humaniste à toute épreuve qui dieu merci fonctionne toujours, mais qu’on sent ici peu à peu s’étioler)…
C’est la première fois qu’une telle sensation apparaît dans un Ghibli (alors qu’on avait les mêmes craintes au moment de l’annonce et des premières esquisses de Sen to Chihiro, craintes qui se révèleront finalement complètement infondées…). C’est un peu inquiétant…
Miyazaki se disait déjà « en sursis » après son chef d’œuvre Mononoke. C’est donc avec un peu de surprise, un grand soulagement et un ineffable ravissement qu’on avait accueilli la réussite totale que fut Sen to Chihiro. Mais peut être le sursis a-t-il ici pris fin… Ou souhaitons qu’il ne s’agisse que d’une pause…
Car Hauru no Ugoku Shiro fonctionne intégralement sur les automatismes, les recettes qui ont fait le succès des films précédents du studio, mais sans ce supplément d’âme sous forme de cohérence interne et d’unicité du « langage poétique » qui les élevait bien au-delà du simple divertissement familial, niveau auquel se cantonne honorablement ce château ambulant qui vient comme un bon vieux camelot – certes talentueux, sympathique et honnête - proposer de porte en porte ses bons vieux tours aux petits et grands…
Tours de passe-passe ou tours de magie, c’est votre sensibilité qui tranchera.
Ecrit par antonz, le Jeudi 27 Janvier 2005, 09:46 dans la rubrique "archives".