A Touch of Zen
--> Film hong-kongais, 1971. Réalisation: King Hu
A
la suite d’une machination ourdie par un clan concurrent, toute la famille de
la jeune Yang est vouée au massacre. Celle-ci s’échappe grâce à deux généraux
fidèles, et après deux ans d’entraînement dans un monastère bouddhiste, s’en va
mener une vie tranquille dans une province reculée, où elle rencontre Ku, jeune
peintre et lettré que sa mère cherche à marier. Mais ses ennemis ne l’ont pas
oubliée, et dépêchent des troupes pour en finir une fois pour toutes avec la
jeune rebelle.
Plus
tranchante que ses lames qu’elle forge elle-même, la belle Yang distribue mort
et vie dans ce grand « film de sabre » qui se révèle finalement l’une
des rares tentatives abouties (avec récemment le Printemps, été… du
coréen Kim Ki-duk) de mimer par sa structure et son essence même un cycle de la
grande roue karmique. (A ce titre, le film est plus proche parfois d’un Jeremiah
Johnson ou d’un Dersou Ouzala que des récents et plutôt creux
avatars du film de sabre que furent Hero ou Tigre et Dragon).
Les
combats à l’épée, passages obligés du Wu Xia, ne sont pas ici des ballets
mortels désincarnés et détachés du réel. Si Ku au lendemain du Fort Alamo
victorieux qu’il a imaginé ne peut réfréner son rire en passant en revue les
pièges qui la veille ont permis à son camp de remporter la victoire, il réalise
ensuite ce qu’impliquait réellement l’affrontement qu’il envisageait tout au
plus comme un jeu : les moines bouddhistes prient pour les morts,
nettoient le champ de bataille et rassemblent les cadavres alors que sa
bien-aimée est déjà partie pour entrer dans les ordres et expier la tuerie, non
sans lui laisser un fils et rétablir ainsi la balance des âmes.
Il
faut voir le regard perdu du puissant et perfide général Hsu alors
qu’apparaissent les bonzes venus protéger le héros en fuite. Il sait déjà que
le combat contre l’Ordre cosmique est perdu d’avance ; c’est dans l’ordre
des choses : contre l’impassibilité, il ne peut rien. Par respect
pour son maître et entravé pas les basses règles auxquelles ce monde
trompeur l’a habitué à obéir, il combattra tout de même, mais cette
tentative de changer le sens du flot lui vaudra l’éternelle damnation, à
l’image des âmes perdues du récent Infernal Affairs, vouées à errer
infiniment dans l’enfer continu que leur promettent les sutras.
Avant
de mourir, il a le temps de voir au loin planer l’oiseau de proie qu’il a tenté
d’être –sa prochaine incarnation ?-, et le bonze indiquer au spectateur et
à l’héroine une voie possible vers la contemplation.
Ainsi,
ce film parfois trop long, aux scènes parfois trop sombres ou confuses acquiert
peu à peu une réelle noblesse : dépassant le genre ultra-codifié du film
de sabre, il propose à travers l’évocation d’une vie, celle d’une jeune femme
écrasée par le sort mais qui refuse d’abdiquer, une fenêtre ouverte peu à peu
sur l’étendue du cycle, étendue impliquant un détachement personnalisé
par les bonzes –montrés comme des incarnations bienveillantes de la
transcendance, à la fois impliquées et éloignées des contingences terrestres
-qui sont peut-être les vrais héros du film.
Ecrit par antonz, le Lundi 17 Janvier 2005, 09:36 dans la rubrique "archives".